Publié dans Passion polar historique

Passion polar historique: L’affaire de l’homme à l’escarpin, Jean-Christophe Portes.

Où nous retrouvons Victor Dauterive, jeune gendarme, aux prises avec une enquête sur un mort anonyme repêché dans la Seine, alors que la fuite avortée de la famille royale sème la discorde et la confusion dans le Paris de 1791.

L’auteur:

téléchargementJean-Christophe Portes est un journaliste, réalisateur et écrivain français né à Rueil-Malmaison le 21 mars 1966. Il a fait ses études à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs. Il travaille pour les principales chaînes de télévision françaises pour lesquelles il a réalisé plus d’une trentaine de documentaires d’investigation, de société ou d’histoire.

Le roman:

L’affaire de l’homme à l’escarpin, deuxième enquête du lieutenant Victor Dauterive, publié par les éditions City Editions en 2016, présente une réécriture romanesque mais tout à fait crédible des événements de l’été 1791. Les faits sont méthodiquement et clairement exposés. La plume de Jean-Christophe Portes est très agréable à lire, dans un style fluide, au vocabulaire riche et choisi sans être rébarbatif et aux phrases bien tournées.

Sa construction, habilement tournée, permet de suivre en parallèle l’enquête de Piedeboeuf et la mission de Dauterive jusqu’à ce que les deux affaires se rejoignent sur un fond historique proposant une extraordinaire reconstitution du Paris de laparis 1 Révolution: les lieux, l’ambiance, les personnages historiques, les luttes politiques se calquent aisément sur la partie romanesque.

Les thèmes: la dureté d’un monde incapable d’assurer la protection de ses enfants: « Il expliqua qu’il venait de Laval, vers la Bretagne, que sa mère travaillait dans les fermes mais qu’elle s’était noyée un jour. Son père il ne l’avait jamais vu. Il avait voulu rejoindre une tante qui était domestique à Paris mais ne l’avait point trouvée. Il vivait donc à la rue depuis, quémandant ici ou dérobant là ce qu’il lui fallait pour ne pas mourir de faim. » (Page 91); un monde cruel et sans pitié, où l’homme se transforme souvent en un vulgaire prédateur, sans foi ni loi: « Ils puaient la servilité, mais Garat ne les en blâmaient pas. Qu’y pouvaient-ils, s’ils n’avaient rien et que d’autres possédaient tout? Pour exister, il fallait courber la nuque et s’avilir, chacun le faisait à sa façon. » (Page 93). Malgré les progrès sociaux et humains réalisés depuis deux siècles, notre monde est-il pour autant plus juste et plus altruiste?

Fil rouge: la remarque que, décidément, la Révolution n’a pas changé grand chose par rapport à l’ordre ancien. Toutes ces destructions et ces morts en valait-il vraiment la peine?  »

Contexte historique: juillet 1791: depuis la fuite avortée de la famille royale, Paris est en pleine ébullition, au propre comme au figuré. La chaleur est accablante, orageuse, tout comme l’ambiance qui règne entre les différentes factions. « Tout Paris semblait s’être donné rendez-vous dans la rue. On causait politique d’un immeuble à l’autre, toujours du roi arretémême sujet. Pourquoi les débats s’éternisaient à l’Assemblée, qu’attendait-on pour juger le gros Louis? N’avait-il pas fui à la frontière, pour faire la guerre aux patriotes? » (Page 59). Les conséquences de Varennes sont souvent évoquées dans le roman: climat de suspicion, de révolte sourde: « Deux France émergeaient face à face, surgies de ce chaos qu’avait engendré la fuite de Louis, deux France que rien ne pourrait désormais réconcilier. Il faudrait qu’un parti triomphe et que l’autre disparaisse, rien d’autre n’était possible. » (Page 181)… »Depuis trois semaines, les gazettes, les cafés et les clubs ne faisaient que le répéter: la fuite du roi, cette gifle lancée à la face des patriotes, cette monstruosité, n’avait pas té vengée. L’Assemblée, qui se glorifiait de représenter le peuple, fermait les yeux sur une gigantesque trahison. Elle trahissait à son tour. Les masques étaient tombés. » (Page 381) =>La situation en apparence inextricable devient soudain plus claire à nos yeux de néophyte.

Le club des Jacobins: difficile de faire le tri entre les différentes factions politiques qui, en cet été surchauffé, se déchirent pour prendre la place laissée vacante par le pouvoir royal déficient. Encore une fois, l’auteur, sans verbiage pompeux, donne les outils club jacobinsnécessaires pour comprendre la situation explosive du Paris de juillet 1791: « Parmi les assemblées politiques ou les sociétés populaires, le club des Jacobins, rue Saint-Honoré, était sans conteste le plus réputé. » (Page 255) S’ensuit un paragraphe expliquant succinctement les circonstances de la création et la place occupée par ce club politique dont le rôle est important dans le roman.

L’intrigue:

Le corps d’un jeune homme est repêché dans la Seine seulement vêtu d’une chemise, d’une culotte et d’un escarpin portant des traces de sang, sans aucun autre moyen d’identification. Crime, somme toute, qui revêt toutes les apparences d’un crime crapuleux. Mais quand il apparaît que le mort fréquentait les milieux homosexuels et que, en sus, il travaillait pour un journal politique, l’affaire prend une tournure autrement sérieuse.

Pendant ce temps, Dauterive, injustement dégradé, se voit confier une mission par son mentor et ami Lafayette: infiltrer le milieu d’Orléans, ennemi du général, afin de découvrir comment Orléans et ses hommes vont procéder pour prendre le pouvoir. Pour cela, le jeune lieutenant doit entrer en contact avec l’écrivaillon Choderlos de Laclos.

Une enquête complexe et extrêmement délicate commence alors lorsque Dauterive découvre que l’assassinat du jeune journaliste pourrait être lié aux intrigues visant à s’accaparer le pouvoir chancelant. Pourquoi la chambre du mort a-t-elle été dévastée? Que cherchait-on? Et qui est cet homme tout de noir vêtu qui suit Dauterive, lequel va devoir déjouer les innombrables pièges qu’on lui tend?

Les personnages:

Personnages fictifs:

  • Victor Dauterive: 19 ans, sous-lieutenant à la toute nouvelle Gendarmerie nationale; « mince mais solide, de bonne taille, démarche souple. Ses traits étaient élégants, son visage était lisse, presque poupin, sa bouche sensuelle et son regard bleu azur; épaules carrées, mains nerveuses. Il se dégageait de lui un mélange de naïveté, de mélancolie et de rudesse; porte une perruque poudrée à un seul rouleau, un uniforme bleu passepoilé de rouge, un chapeau bicorne à plumet. Enthousiasmé par la Révolution grâce à laquelle il a échappé à son père qui ne lui témoignait que rebuffades et humiliations, et gagné sa liberté; passe ses dimanches à l’hôtel de Noailles, chez le marquis de Lafayette qui le considère comme un fils. Talents d’enquêteur, opiniâtre, habile et discret, doué pour la dissimulation.
  • Pierre-Joseph Piedeboeuf: commissaire de police élu de la section du Louvre; s’exprime toujours d’un ton bourru; homme massif d’une cinquantaine d’années, le menton et le nez assez forts mais des traits réguliers; économe de paroles, s’exprime souvent par le jeu de ses sourcils tantôt interrogateurs, tantôt sceptiques ou menaçants; de taille avantageuse; issu d’une famille de paysans pauvres du Poitou.
  • Augustin Bouvard: journaliste au Mercure National; de condition aisée, soigné de sa personne, mains et ongles propres; grands yeux doux un  peu écartés, cheveux coupés court à la Titus; homosexuel, s’habillait en femme et se faisait appeler la « belle parfumeuse ».
  • Valentin: médecin; petit homme aussi leste que large, figure rouge.
  • Godard: adjoint du commissaire Piedeboeuf; peintre sur porcelaine en dehors de ses fonctions dans la police.
  • Duperrier: ancien greffier du Châtelet nommé archiviste.
  • Claude Garat l’Héritier allias Garat l’Américain: ancien planteur de Saint-Domingue; homme brutal et sans scrupule, habile à torturer; homme de main de Choderlos de Laclos; petit, d’âge mûr, ressemble plus à un ouvrier qu’à un bourgeois.
  • Lalanne: indicateur de police; homosexuel; environ 25 ans; solide, regard doux; emprisonné pour pédérastie.
  • Vivien du Baly: amant d’Augustin Bouvard; grand, yeux bleu clair, moustache abondante; Autrichien; servait comme premier lieutenant au quinzième régiment de cavalerie.
  • Pierre-Antoine Charpier: ancien graveur secrétaire particulier du duc de Chartres (fils aîné du duc d’Orléans, futur Louis-Philippe); proche de Danton et Santerre, membre discret des Cordeliers; visage dur avec des plis aux joues, longs cils noirs, yeux bleus.
  • Pierre-Joseph Lebel: ancien chasseur d’esclaves de Saint-Domingue au service de la famille Petit du Vaudreuil.
  • Jean-François le mulâtre: 35 ans, assez mince, crâne dégarni, cheveux réunis en queue; comparse de Lebel.
  • Hyacinthe: belles dents nacrées, lèvres roses, teint noir, front largement dégarni, cheveux crépus ramassés en queue, visage hermétique aux yeux mi-clos; esclave affranchi propriétaire d’une prospère plantation de café à Saint-Domingue; air respectable et plein d’assurance; très grand.
  • Jourdain: policier; visage serré, un peu gris, yeux rapprochés et vifs; discret et malin.
  • Irène Petit du Vaudreuil: riche propriétaire à Saint-Domingue; haute perruque en rouleaux; peau réduite à l’état de parchemin, luisante, zébrée de cicatrices affreuses.

Personnages historiques: La difficulté, dans ce type d’ouvrage, est de mettre en scène des personnages célèbres dont la biographie est très bien connue, car les nombreux documents, qu’ils soient contemporains aux événements relatés ou postérieurs, n’autorisent aucune marge d’erreur. Difficulté habilement surmontée par l’auteur qui a réalisé un véritable travail de documentation. C’est pourquoi je me contenterai ici de les citer en ne précisant que leur rôle dans le roman.

  • Gilbert du Motier, marquis de Lafayette
    la fayette
    La fayette

    : protecteur et mentor de Victor.

  • Antoine Barnave: député du Dauphiné.
  • Choderlos de Laclos: secrétaire du duc d’Orléans.
  • Olympe de Gouges: amie de Victor qu’elle va aider à rencontrer Choderlos de Laclos.
  • Rotondo: homme de main du duc d’Orléans.
  • Verrières: avocat qui travaille pour le journal L’Ami du Peuple.

    choderlos de laclos
    Choderlos de Laclos
  • Saint-Huruge: ancien militaire homme de main du duc d’Orléans.
  • Louise de Kéralio: écrit pour le journal le Mercure National, révolutionnaire acharnée.
  • Louis-Philippe d’Orléans: premier prince du sang.
  • Antoine-Joseph Santerre: militaire ayant dirigé l’assaut contre la Bastille; révolutionnaire convaincu.

Les lieux:

Remarquable reconstitution de Paris, les endroits stratégiques du Paris révolutionnaire sont décrits avec beaucoup de précisions et de réalisme. On s’y croirait presque…

Le Palais-Royal: domaine appartenant au duc d’Orléans, cousin du roi Louis XVI: « Garni de galeries en bois et d’appartements, l’ensemble était devenu la nouvelle attraction de la capitale (…) temple du vice, du jeu et de la prostitution interdit à la police(…) C’était là qu’était née, le 12 juillet 1789, l’émeute qui avait emporté la Bastille. » (Page 59).

Rues du Paris populaire: « …il regarda la rue trois étages plus bas, grouillante de monde. Des passants s’interpellaient, des enfants jouaient, et leurs rires montaient dans une odeur pestilentielle d’immondices recuites.  » (Page 73).

parisEnvirons de Paris à travers le regard de Victor: « A main droite, le fleuve scintillait de mille feux. Il s’engagea dans la plaine de Grenelle, une succession de champs et de fabriques…Approchant de maisons alignées le long d’une rue, il supposa qu’il était arrivé à Vaugirard, l’un de ces hameaux cossus où quelques riches Parisiens appréciaient la tranquillité de la campagne. » (Page 84).

Bicêtre, sorte d’asile où l’on enfermait les indigents, les fous, les estropiés, les vénériens, les paralytiques, mais aussi les repris de justice, situé en dehors de la capitale, en sortant par la barrière de La Glacière: « Au-delà du mur des Fermiers Généraux s’étendait un entrelacs de constructions et de champs maraîchers (…)couronnant une colline, un majestueux alignement de bâtiments. De part et d’autre d’un imposant corps principal se dressaient deux pavillons prolongés par des ailes… » (Page 55).

En conclusion:assemblée 1

Jean-Christophe Portes ne se contente pas de décrire le Paris révolutionnaire. Il montre les nombreuses facettes de la capitale: les quartiers populaires et, aux antipodes,un autre univers, le Paris des « salons », qui faisaient fureur depuis le règne de Louis XV: « Tous étaient présidés par des femmes, mais seuls les hommes y participaient. C’était, pour quiconque rêvait d’une carrière d’artiste ou d’écrivain, l’un des plus sûrs moyens d’exister aux yeux du monde (…)A Paris, une poignée de sociétés se livrait une concurrence acharnée, chacune bataillant pour recevoir un certain soir de la semaine. » (Page 108).

L’affaire de l’homme à l’escarpin est un excellent polar historique, extrêmement bien documenté, remportant haut la main l’incroyable défi de reconstituer, dans une analyse intelligente, les dessous politiques de cette période trouble et agitée. Tout y est juste: le ton, les personnages, les lieux, les intrigues, les machinations, les rues populaires, l’atmosphère électrique et surchauffée, la détresse et la misère… Une lecture passionnante mêlant subtilement enquête policière et événements historiques, offrant aux lecteurs distraction, instruction, réflexion…Que demande le peuple !!

Citation:révolution

« La Révolution n’avait rien changé à cette cohue à ciel ouvert, où s’échangeaient toutes sortes de marchandises, souvent volées. Il ne remarqua pas de voleur et se contenta de chasser deux ou trois marchands ambulant qui n’avaient rien à faire là. » (Page 55)

« Le ciel se teintait de rouge sang, annonciateur du crépuscule, il régnait une chaleur épuisante. A cette heure, la rue Saint-Honoré s’encombraient d’élégantes qui prenaient l’air avant le souper, avec leurs robes extravagantes de satin et de taffetas, dont la plupart coûtaient plusieurs mois de ses revenus. » (Page 233).

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