Publié dans Paris, Passion polar historique

Passion polar historique: L’oeil du Goupil, Sylvain Larue.

Souhaitons la bienvenue à Léandre Lafforgue, ce sympathique nouvel enquêteur dans le monde des polars historiques, gascon comme le chevalier d’Artagnan, en plein milieu du 19e siècle, époque troublée de notre histoire récente…

L’auteur:

Une fois n’est pas coutume, je laisse Sylvain Larue se présenter lui-même:

téléchargement.jpegMes études et mon parcours pro : bac à 16 ans, études supérieures loupées pour raison de santé, déviation à 22 ans vers une formation en apprentissage d’imprimeur qui m’a conduit à travailler dans le papier (photocopies, reprographie, mise en forme de documents, etc…) J’aimerais bien bifurquer vers un boulot plus proche de mes travaux, devenir généalogiste professionnel, par exemple, ou obtenir une VAE d’histoire.
Mes origines : à l’instar de Léandre, je suis Gersois aux racines italiennes – par ma mère – sauf que mon père, lui, est un Marseillais aux racines briardes. Subtil mélange ! 🙂 Je suis particulièrement attaché à ma région natale, difficile à situer pour beaucoup de gens (je me contente en général d’évoquer Toulouse, ce qui est plus parlant), et c’était pour moi naturel que de mettre un minimum ma terre à l’honneur dans mes romans, car, comme tout département très rural, le Gers est souvent moqué par les citadins.

Ecriture : avant les romans policiers historiques, j’étais spécialisé (je le suis toujours, du reste) dans des sujets très réjouissants : les faits divers, les crimes célèbres, la peine de mort en France (mon prochain livre sur le sujet, la biographie d’un bourreau ayant exercé sous l’Occupation, paraîtra d’ailleurs en mars prochain). C’est parce que j’avais accumulé une connaissance assez importante en la matière qu’Anthony Frot, mon ancien éditeur et grand ami, m’a conseillé d’opter pour la voie de la fiction policière sur base historique, arguant que j’avais suffisamment de style et d’imagination pour créer une série qui tiendrait la route. Et je ne le regrette pas ! Le quatrième tome est en cours de rédaction, et le cinquième suit juste derrière !

Le roman:th (3)

L’oeil du Goupil a été publié par les éditions De Borée en 2016, dans la collection Vents d’histoire. Il s’agit du premier tome d’une série consacrée aux enquêtes de Léandre Lafforgue, nouveau venu parmi la grande famille des limiers de polars historiques.

L’écriture de Sylvain Larue est très personnelle: un style soigné, légèrement maniéré, un peu à la façon des écrivains du 19e siècle, en même temps que moderne: « Drouart avait, cependant, riposté au même instant, entamant le dos de la main droite de son rival d’un rapide coup de taille. Satisfait et peu concerné par sa propre et bénigne estafilade, le vainqueur avait poussé le fair-play jusqu’à offrir au vaincu une rasade de liqueur d’abricot de son Tyrol natal, histoire de lui donner du cœur au ventre; » (Page 26).

écritureLe style est riche de détails: « Ce dernier souleva le couvercle de terre cuite, et les vapeurs savoureuses du canard s’élevèrent en délicieuses volutes vers les narines des deux convives. D’autorité, s’aidant d’une cuillère et d’une fourchette d’argent, René servit trois cuisses dorées au jeune garçon et s’en octroya lui-même deux autres. » (Page 40)…mis en valeur par un vocabulaire recherché, parfois ampoulé, bien dans le ton de l’époque: « Dans le Sud, les hommes s’adonnant aux plaisirs de Terpsichore -hors fêtes de village- avaient toujours une réputation sulfureuse, scabreuse, de paresseux gourmés et précieux dont on se moquait volontiers et qu’on soupçonnait d’amours « contre nature ». Mais ceux qui connaissaient Fabrice Drouart savaient que le suspecter d’être un antiphysique équivalait à proférer la plus grossière des absurdités. »(Page 24).

Indéniablement, Sylvain Larue maîtrise l’art de la mise en scène, en témoigne l’arrivée de Léandre en malle-poste ayant aussitôt fait éclore dans mon esprit des réminiscences des romans de Dumas. Le récit propose au lecteur de longs flash-backs afin d’expliquer les raisons et les circonstances du voyage de notre héros dans la capitale, enrichis de nombreux détails: « Le jeudi 7 septembre, entrée par la porte d’Orléans, la malle-poste de faufila, véloce et souple malgré sa taille volumineuse, dans les rues encombrées et peuplées de la capitale. Germain, le postillon, aimait l’ambiance de la ville (…)Bientôt, il reconnut les arbres de la place Maubert et commença à ralentir pour se ranger au pied des immeubles. Puis il tira les rênes du timonier et la diligence s’arrêta tout à fait, non sans quelques soubresauts. » (Page 29).

L’intrigue:

malle-poste.jpegLéandre Lafforgue, jeune gascon passionné de théâtre, se rend à Paris à la recherche de son père, Alessandro Prazzoli, ancien carbonaro, qu’il n’a pratiquement pas connu, avec l’idée de percer comme dramaturge.

Depuis quelques mois, on déplore la mort de cinq députés, tous dans la fleur de l’âge, sans soucis de santé avérés, dans des circonstances pour le moins suspectes: chacun d’entre eux s’est écroulé après avoir éprouvé un violent malaise sans que les symptômes permettent d’identifier la cause de la mort. Le seul point commun entre les victimes est qu’ils étaient députés. L’enquête sur ces décès, la police ne distingue aucun profit, ni aucun sens, est ajournée, faute d’indices ou d’une piste, la plus infime soit-elle.

Sur ces entrefaites, Léandre Lafforgue est personnellement engagé par le prince Louis Napoléon Bonaparte, également député, afin d’ assurer sa sécurité et de mener une enquête officieuse dans le but d’arrêter le tueur de parlementaires qui fait trembler les murs de l’Assemblée. C’est ainsi que Léandre devient Le Goupil: « J’ai toujours été homme à aimer la nuit, et le goupil vit de préférence quand le soir est tombé. Ensuite, vous cherchez un adjoint habile et discret, et le goupil est l’être méfiant, furtif et rusé par excellence…une ombre dans l’ombre. » (Page 175).

Les personnages:

Sylvain Larue pratique un sens du portrait « à la Balzac », notamment pour son personnage principal Léandre Lafforgue, que je vous laisse découvrir:

  • Léandre Philippe Lafforgue: jeune gascon passionné de théâtre, né en 1826; yeux dorés qui deviennent jaunes lorsqu’il est en colère; assez grand, costaud, pratique régulièrement une activité physique qui le maintient en forme; caractère impulsif, emporté, vouant un culte à la bonne chère et la bonne chair; aime pourtant la solitude; sens aigu de l’observation, d’intuition et de observation, très bon enquêteur.
  • René Lafforgue: grand-père de Léandre qui l’a élevé; père de sa mère Claire morte en couches; ancien député pendant la Révolution; homme cultivé et amoureux des livres; âgé de 82 ans, aime également la bonne chère; issu d’une famille bourgeoise aisée; crâne dégarni, couronne de cheveux un peu longs, nez légèrement aquilin.
  • Alessandro Prazzoli: père de Léandre; ancien carbonaro, aventurier aux convictions politiques bien arrêtées; même physique que son fils en un peu moins grand et moins costaud; cheveux noirs; ancien ami du prince Napoléon Bonaparte.
  • Constant: frère de René, grand-oncle maternel de Léandre; âgé de 73 ans; ressemble beaucoup à son frère avec toutefois un visage plus mince et une corpulence moins prononcée; propriétaire de l’auberge « Au Vieil Armagnac ».
  • Arnaud Davezac: chef cuisinier de Constant; forte personnalité, imbu de ses talents culinaires; homme bon et généreux.napoléon III.jpeg
  • Rodolphe Issy-Volny: inspecteur principal de la Sûreté; homme stupide, vaniteux, flagorneur et de mauvaise foi; de petite taille, maigre; âgé d’environ 40 ans.
  • Charles Leterrier: adjoint de Isly-Volny; grand, mince et robuste, visage étroit, porte un lorgnon; vêtu de manière modeste.
  • Charles Louis Napoléon Bonaparte: neveu de Napoléon Ier; patron de Léandre.

Les lieux:

L’oeil du Goupil donne lieu à une reconstitution du Paris des années 1848 tout à fait crédible en petites touches disséminées au fur et à mesure du déroulement de l’histoire, dans le but de poser le décor dans lequel les personnages évoluent. J’ai évoqué plus haut l’écriture « à la Balzac » pratiquée par l’auteur, mais rassurez-vous, cela ne concerne que la façon de présenter les personnages, et non les descriptions à n’en plus finir du maître du réalisme !!

paris 1848.jpeg
Paris 1848

L’auberge du Vieil Armagnac, théâtre de nombreuses scènes du roman, comporte « une façade du plus pur Louis XV, avec un large balcon soutenu par des consoles à tête de lion, et sur la double porte cochère de bois, largement ouverte et laissant voir une belle cour pavée, un heurtoir de fer forgé particulièrement ouvragé…Ce fut en pénétrant dans la cour, vaste d’une centaine de mètres carrés, que Léandre prit conscience de la beauté des lieux. Sur sa droite, il vit l’entrée de la modeste loge du concierge, et un escalier étroit qui conduisait, à n’en pas douter, aux chambres des domestiques…Face à lui, le corps principal du bâtiment se dressait sur trois étages, percé de cinq larges baies vitrées sur les deux premiers niveaux, et d’autant de petites fenêtres circulaires au niveau des combles. » (Page 62).

Quant au cabinet de travail de son oncle, il était « particulièrement bien agencé, à l’ambiance chaleureuse, qu’on eût vu très bien comme étant le bureau d’un conservateur de musée ou d’un bibliothécaire…Un globe terrestre de bois précieux se trouvait dans un angle, et les étagères supportant les livres étaient toutes couronnées par des objets hétéroclites. » (Page 66). Sylvain Larue sait créer des ambiances chaleureuses, voire douillettes, donnant envie au lecteur de se saisir d’un des ouvrages reliés de cuir figurant sur une étagère, de se lover dans un des confortables fauteuils et de s’abandonner à la lecture d’un roman d’aventures digne de Dumas.

En conclusion:histoire

Une des forces de ce roman policier historique est d’assurer à sa fiction une légitimité, une réalité en lui donnant pour base un contexte politique et social minutieusement restitué, permettant au lecteur profane de comprendre les tenants et les aboutissants du cadre dans lequel se déroule l’enquête de Léandre: « La république vient de naître, mais le triomphe est modeste, et elle est déjà attaquée de toutes parts, si bien que seule la force peut réprimer, avec violence, les mouvements d’excès qui naissent çà et là…La police, bien évidemment, nourrit un intérêt particulièrement étroit à ce qu’il n’arrive rien de néfaste aux représentants. » (Pages 161-162)

Un premier titre très prometteur, avec son ton léger, son style très soigné, ses nombreuses notes d’humour, les scènes d’action crédibles, les rebondissements qui nous préservent de l’ennui, son attrait marqué pour la bonne chère et les plaisirs de la vie. Un roman hédoniste, érudit, témoin de l’amour que l’auteur professe pour les richesses de notre histoire et de notre langue.

Citations:

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Goupil

« Il était ainsi convaincu qu’une accusation proférée par un témoin n’avait aucune valeur si elle n’était accompagnée de preuves irréfutables. IL considérait qu’un crime pouvait non pas s’excuser mais tout du moins s’atténuer par l’existence de hasards expliquant le pourquoi du comment. » (Pages 38-39).

« Quelque soit la croyance de celui que tu rencontres, respecte-la et ne l’insulte pas. Ne commets pas la faute des fanatiques, lâches et stupides avec ceux qui ne partagent pas leur point de vue. Refuse simplement et poliment s’ils cherchent à te convertir, et mets un terme à la discussion s’ils insistent. » (Page 60).

« Chaque livre, répétait le vieillard, est une fenêtre ouverte sur le savoir universel. Et même si nul homme ne dispose d’assez de temps pour lire tout ce qui a été écrit depuis des siècles, le sage a à cœur d’apprendre un peu chaque jour, comme s’il devait vivre éternellement. » (Page 77).

« Il rêvait d’un monde où le mérite serait véritablement récompensé, où chacun aurait sa chance en fonction de ses capacités, et où même le plus faible, d’esprit comme de corps, pourrait faire sa vie sans gêner autrui. »(Page 99)

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2 commentaires sur « Passion polar historique: L’oeil du Goupil, Sylvain Larue. »

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