Publié dans enquête criminelle, Policier : histoire du genre, roman historique, roman psychologique, thriller ésotérique

Histoire du genre: le roman policier historique.

Polar + histoire = polar historique: nouveau genre qui, bien que né des décennies plus tôt, ne gagne les faveurs du public que dans les années 1980. Aujourd’hui, il représente un secteur très prisé des littératures policières…Retour en arrière : les précurseurs, les thèmes, les paysages.

1)Introduction:history-3856973__340

Le roman historique, à ses débuts, avait pour vocation d’enseigner l’histoire au peuple, de permettre aux classes moyennes d’accompagner le progrès en marche tout au long du XIXe siècle. Le roman policier, quant à lui, mettait en oeuvre des enquêtes policières  défiant les capacités de déduction de ses lecteurs; aujourd’hui, ses ramifications diverses et multiples peuvent parfois lui donner des aspects de critique sociale et politique. Mais le roman policier historique n’a pour but ni d’enseigner l’histoire, ni de mieux faire comprendre le présent: avant tout, il propose au lecteur une forme originale de divertissement mêlant harmonieusement énigmes à résoudre et voyages dans l’espace-temps.

2)Caractéristiques:

Le récit policier imaginaire est toujours situé dans un passé antérieur à celui de l’auteur, utilisant ainsi des méthodes d’investigation propres à l’époque du crime. Ce qui signifie que le temps du récit est différent de celui de l’écriture: l’auteur n’est en aucun cas contemporain des histoires qu’il raconte.

living-room-581073__340Les objectifs du polar historique sont multiples: divertir, dépayser, cultiver, proposer une lecture intelligente du passé pas nécessairement austère, bien qu’il puisse à l’occasion mettre en oeuvre des moyens d’observation sociale et de dénonciation politique habilement dissimulés.

Il ne faut pas confondre le polar historique avec le thriller ésotérique qui s’apparente plus à un sous-genre du thriller (sujet que nous développerons dans un futur article), et avec les néo-polars dont l’action se situe dans un passé récent. En effet, il est parfois difficile d’appréhender sa dimension policière qui peut se conjuguer avec d’autres dimensions du récit: romans d’espionnage, romans d’aventures, récits de guerre, récits de cape et d’épée, romans de terroir, récits d’angoisse, romans de moeurs…

Genres proches:

Les thrillers ésotériques proposent des intrigues qui voyagent entre passé en présent, suivant en évoquant des complots religieux ou politiques, tels que Le Pendule de Foucault, Le Da Vinci code, ou certains romans de Maxime Chattam ou Jean-Christophe Grangé.

Les néo-polars évoque un passé récent lorsque celui-ci est à même d’expliquer des dysfonctionnements de notre société moderne; c’est par cette critique du présent qu’il diffère totalement du polar historique.

Les histoires qui traversent les époques: certains romans policiers mettent en scène des héros qui vivent à l’époque présente mais enquêtent dans le passé. Ils ne peuvent donc pas être considérés comme des polars historiques au sens strict puisqu’une partie du récit est contemporaine de l’auteur. D’autant qu’ils utilisent des méthodes d’investigation modernes et non celles propres à l’époque du ou des crimes.

3)La collection Grands Détectives chez les éditions 10/18.

images (3)1983 est une année à marquer d’une pierre blanche : la création de la désormais célèbre collection Grands Détectives par Jean-Claude Zylberstein, avocat, chroniqueur et conseil éditorial spécialisé depuis les années 1960 dans le policier et le domaine étranger. A une époque où le néo-polar domine la littérature policière en France, la toute jeune collection va rapidement séduire un public toujours plus nombreux.

Écoutons Jean-Claude Zylberstein : »J’ai créé la collection « Grands Détectives » en 1983. Ces romans policiers ont bénéficié, outre leurs qualités propres, de l’image haut de gamme de 10/18, en particulier aux yeux d’un certain public d’amateurs qui ne voulaient pas acheter des « Série Noire », trop sulfureux à son goût.Les couvertures de « Grands Détectives » ne représentent ni un poignard, ni du sang, ni une épée dénudée. téléchargement (1).jpgC’était bien mon intention: faire une anti-Série Noire et non pas des livres sociaux, quasi politiques ou de revendication. Il y avait déjà assez de collections dans ce créneau-là et fort réussies. La collection ne s’est pas centrée uniquement sur le roman policier historique, mais autour de trois axes plus larges: montrer la variété du genre policier, proposer des séries avec des héros récurrents (je me souviens de Maigret), et des héros qui soient de préférence positifs. Montrer la variété, c’était aussi présenter des détectives vivant à différentes époques, et j’ai recherché des auteurs qui situaient leurs récits aussi bien au temps des pharaons (Anton Gill) qu’au XIIe siècle (Ellis Peters) et ainsi de suite jusqu’à notre époque (…)Le format et la présentation de la collection ont certainement participé de son succès qui a été rapide. »

4)Les précurseurs.ancient-3752038__340

Avant 1900:

  • 18e siècle: première apparition du juge Ti: dans les années 1940, Robert Van Gulik découvre Trois affaires criminelles résolues par le juge Ti, roman anonyme du 18e siècle dont il fait paraître une traduction. Depuis très longtemps, les Chinois ont été amateurs de récits policiers sous la forme de courtes nouvelles, de contes ou de pièces de théâtre relatant des énigmes et leur résolution. Le roman policier chinois proprement dit est sans doute apparu dans les années 1600, atteingant son apogée aux alentours du 18e siècle, bien avant Edgar Allan Poe, Emile Gaboriau et Wilkie Collins pour les plus célèbres.téléchargement (2)
  • 1831: au moment où le public se passionne pour les romans historiques, Balzac publie la nouvelle Maître Cornélius dont l’histoire, située en 1479, sous le règne de Louis XI, raconte une intrigue amoureuse et l’enquête sur des vols répétés. Le roi lui-même se fait détective afin de découvrir qui a dérobé des objets de valeur chez son ami Cornélius Hoogworts, son argentier.
  • 1841: Balzac, dix ans après la nouvelle précédemment évoquée, publie Une ténébreuse affaire, roman de mœurs qui comporte une intrigue policière située dans le passé. Si, dans ces deux œuvres, l’intrigue policière avait occupé une place prépondérante, Balzac aurait pu être considéré comme l’inventeur, après les Chinois, de la nouvelle policière historique.
  • 1889: Louis Noir, auteur de romans d’aventures, historiques ou de cape et d’épée, fait, avec son roman Une revanche de Vidocq, une incursion insolite dans le roman policier historique.

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    Vidocq
  • 1895: peu de personnes, parmi les aficionados de Sherlock Holmes, connaissent le brigadier Etienne Gérard, hussard homme de main et agent secret favori de l’empereur Napoléon Ier, héros de seize nouvelles qu’il serait réducteur de tenir pour se simples récits d’aventures, car certaines d’entre elles, notamment Le brigadier et les frères d’Ajaccio, Comment le brigadier fut tenté par le diable ou Comment le brigadier perdit son oreille, sont des récits policiers typiques autant par leur intrigue, que par leur atmosphère et leur action. C’est en 1893, après avoir donné la mort à son célèbre détective dont il s’était lassé, que Conan Doyle créa le fameux brigadier, plus espion et aventurier que détective.

Années 1900 à 1950:

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Louis XI
  • 1900-1910: Marc Mario et Louis Launay auteurs de la série intitulée Drames et mystères de l’Inquisition dont l’action se déroule à Paris à la fin du règne de Louis XI, récits mêlant les caractéristiques du roman d’aventures, du du roman policier et du roman fantastique. Ils sont également les auteurs d’une série sur la vie de Vidocq présentée comme des romans historiques.
  • 1910: Rodolphe Bringer, pseudonyme du journaliste Rodolphe Béranger, publie Le secret de Brumaire et L’ombre de Fouché, deux romans policiers historiques à teneur politique.
  • 1911: Melville Davisson Post, créateur du personnage de Oncle Abner qui, dans les Appalaches des années 1840-1850, pourchasse les voleurs et les meurtriers grâce à ses capacités d’observation et de déduction. Inconnu en France, Abner a été comparé par les Américains au chevalier Dupin de Poe. Faulkner s’est inspiré de Post pour rédiger ses romans à suspense.
  • 1922: Albert du Bois, diplomate belge et militant wallon, est l’auteur d’une série criminelle mettant en scène Saphos Mélambris, ressortissant grec, sorte de Lupin en toge, dont les enquêtes se déroulent sous les règnes de Tibère, Claude et Néron.
  • 1934: John Dickson Carr, incontestablement le maître du mystère en chambre close et du récit policier mêlé de fantastique, publie en 1934 Devil Kinsmere sous letéléchargement (4) pseudonyme de Roger Fairbairn puis en 1964 sous son vrai nom. Dans ce roman à mi-chemin entre espionnage et aventures, Roderick Kinsmere défend le roi Charles II d’Angleterre aux prises avec des conspirateurs. En 1936, il publie The murder of Sir Edmund Godfrey, une enquête sur un authentique crime perpétré en 1678. Quelques années plus tard, J.D. Carrécrit d’autres romans policiers historiques avec pour enquêteurs le juge John Fielding et Laurence Sterne.
  • 1944: Agatha Christie, la célébrissime reine du crime, a elle aussi fait une incursion dans le domaine du polar historique en publiant La mort n’est pas une fin, l’histoire d’une jeune égyptienne, Renisend, qui retrouve sa famille après le décès de son mari. Des meurtres dans une atmosphère lourde et oppressante.
  • 1945-1946: Lilian de la Torre, jusqu’en 1994, écrit des récits policiers inspirés de faits réels s’étant déroulés dans les années 1770 en Angleterre.
  • 1947: Dennis Wheatley, inconnu en France, est le créateur du personnage de Roger Brook, meilleur agent secret du Premier ministre Pick, au XVIIIe siècle, qui s’illustrera dans une série aux confins du polar et du roman d’espionnage.
  • 1951: le sinologue Robert Van Gulik, ne trouvant personne pour reprendre le flambeau de l’auteur anonyme chinois de Trois affaires criminelles résolues par le juge Ti, décide de relever lui-même le défi en composant de multiples épisodes, acte de naissance du juge Ti moderne. Pour mener à bien son projet, il s’inspire notamment des Affaires résolues à l’ombre du poirier, un manuel chinois de jurisprudence et d’investigation policière du XIIIe siècle dont il publie une traduction en 1956.images (4).jpg
  • 1953: les résurrections du célèbre détective Sherlock Holmes, sous la plume de d’écrivains divers, alimentent régulièrement un important courant du roman policier historique en respectant le « canon holmesien », sans doute mis au défi par Conan Doyle lui-même qui, dans plus de la moitié de ses récits, évoque des « histoires non racontées ». Désireux lui aussi de marquer cette tradition de son sceau, John Dickson Carr compose, avec le propre fils de Conan Doyle, Les exploits de Sherlock Holmes. 

Années 1950 jusqu’à la création de la collection « Grands Détectives ».

  • 1969: avec Robert Van Gulik et Ellis Peters, Peter Lovesey est l’un des premiers grands auteurs de séries policières historiques. La Course ou la vie marque la première apparition du sergent Cribb.
  • 1973: Boileau-Narcejac, passionnés de Lupin, Rouletabille et de Fantômas, s’amusent à ressusciter le célèbre gentleman cambrioleur dans quelques romans.
  • 1974: Nicholas Meyer, scénariste, réalisateur, producteur et acteur américain, est l’auteur de pastiches tels que La solution à 7%, récit dans lequel Watson entraîne Holmes à Vienne pour consulter le docteur Freud. Prenant goût pour ce genreliving-room-581073__340 particulier, il écrit L’horreur du West End dans lequel Holmes rencontre Oscar Wilde et Bram Stoker et le désopilant C’était demain, dans lequel H. G. Wells poursuit Jack l’Éventreur, alliant action haletante, humour et fable philosophique.
  • 1975: Elizabeth Peters écrit Un crocodile sur un banc de sable, premier épisode des enquêtes d’Amelia Peabody qui se déroulent en Egypte dans les années 1880. La romancière américaine inaugure un style particulier en créant une des premières héroïnes de polars historiques où se mêlent humour, histoire et aventure.
  • 1977: année de naissance du célèbre moine enquêteur, j’ai nommé frère Cadfaël, certainement plus connu que sa créatrice Ellis Peters, pseudonyme de la romancière britannique Edith Pargeter. Moine herboriste à l’abbaye de Shrewsbury, qui existe encore de nos jours, ce moine bénédictin, qui a eu une vie agitée avant d’entrer dans les ordres, se livre à des enquêtes complexes, dans le contexte historique de la guerre civile entre Etienne et la reine Mathilde.
  • 1978: Margareth Doody écrit Aristote détective à un moment où le marché du polar historique n’est pas encore réellement apprécié du grand public. L’éditeur interrompt donc la publication de la série après ce premier opus, qui reprendra en 2002.

5)Les thèmes.desk-3606980__340

La plupart des thèmes développés dans les romans, policiers historiques s’apparentent à ceux des romans historiques et des romans d’aventures: sectes et sociétés secrètes organisées autour de conflits religieux, de complots et de crises politiques; on y retrouve des souterrains mystérieux et, parfois, des manifestations fantastiques. Mais, contrairement aux polars ésotériques pour qui ces éléments forment la base de l’intrigue, le roman policier historique n’utilise ces thèmes que pour mieux dissimuler des crimes domestiques, des complots de moins grande envergure.

Cependant, trois thèmes principaux émergent:battlements-1239279__340

  • L’évolution de la conception et de la mise en oeuvre de la justice.

Dans l’univers du roman policier historique, rares sont les personnages à occuper une fonction explicitement judiciaire et à disposer d’un pouvoir assez important: on peut citer sœur Fidelma que Peter Tremayne a imaginée avocate dans l’Irlande du VIIe siècle, époque où le système judiciaire était favorable aux femmes et garantissait à chacun un jugement équitable. Le contexte historique évoqué dans ses romans fournit de façon surprenante un environnement où Fidelma peut mener ses investigations de manière quasi identiques à celles familières aux lecteurs modernes: l’enquête est menée à partir d’éléments rationnels et le suspect est jugé de façon objective à la lumière de preuves concrètes, circonstances peu usitées dans les autres pays du Moyen-Age jusqu’au XVIIIe siècle. En effet, d’autres considérations prennent souvent le pas: le sens de l’honneur et le droit à la vengeance; l’arbitraire seigneurial ou royal; l’appel au jugement de Dieu en lieu et place de la justice des hommes; des régimes judiciaires différents en fonction de la qualité des suspects; la résolution des conflits à l’amiable; l’écart plus ou moins important entre les textes de loi et leur application.

charlemagne.jpgL’abbé Erwin, missus dominicus de Charlemagne, créé par Marc Paillet, vit dans le royaume des Francs dans un cadre beaucoup moins favorable que celui dans lequel évolue soeur Fidelma. A cette époque, les comtes laïcs et ecclésiastiques et les évêques se partagent le pouvoir?. Le peuple est composé d’hommes et de femmes libres et de non-libres, dont font partie les esclaves, qui n’ont aucun droit. Etant soumis aux désirs de leur maître, il ne saurait être question de justice. Lorsqu’une personne libre commet un crime, l’affaire est portée devant un tribunal public qui juge sous l’autorité du comte, parfois assisté d’un missus dominicus, ce qui ne signifie pas que les méthodes utilisées sont rationnelles et le verdict rendu totalement objectif.

  • La constitution d’un corps de police professionnel.téléchargement

La lecture de romans policiers historiques dont l’intrigue se déroule entre le Moyen-Age et le XXe siècle nous montre la lente professionnalisation de la police qui, peu à peu, émerge d’un chaos d’inorganisation pour constituer un véritable corps de métier exercé par des professionnels bénéficiant d’une formation soignée et utilisant des méthodes de plus en plus modernes. Ces romans n’hésitent pourtant pas à montrer l’envers de la médaille: la corruption qui frappe la police à toutes les époques, les coups bas, les trahisons, les indics…Néanmoins, l’image du policier dans la société se modifie vers les années 1820: la publication des Mémoires de Fouché en 1824 puis celles de Vidocq, ancien forçat devenu chef de la Sûreté, contribuent largement à faire entrer le policier dans le panthéon des personnages romanesques.

  • Les progrès de l’enquête.
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Pistolet de gendarme environ 1770

La modernisation de la police et l’évolution des méthodes d’investigation sont intimement liées. Le déroulement de l’enquête est, la plupart du temps, au coeur de l’intrigue du roman policier historique; sans elle, que raconterait-il? Comme nous le savons, les méthodes d’investigations ont revêtu différentes formes au fil des siècles, de la torture à la dénonciation, peu souvent, hélas, en appliquant le raisonnement déductif et l’examen de preuves tangibles.

L’évolution des méthodes d’enquête à travers les siècles étant peu ou mal connues, les auteurs de romans policiers historiques tentent de les décrire sans commettre d’anachronismes flagrants, sachant qu’avant le XVIIe siècle les modes opératoires se cantonnaient au bon sens et à l’observation.police-1461213__340

Les enquêtes ne sont pas toujours menées par des policiers de métier mais souvent par des enquêteurs atypiques, des détectives privés amateurs ou professionnels, des hommes et parfois des femmes autodidactes mais particulièrement doués, souvent œuvrant à une époque où les balbutiements t les lacunes de la police de métier lui laissaient une grande marge de manœuvre.

 

 

 

 

 

4 commentaires sur « Histoire du genre: le roman policier historique. »

  1. Je découvre tout juste le sénateur Publius Aurélius Statius, de la romancière Danila Comastri Montanari, dans l’excellente collection « Grands détectives », chez 10/18. C’est érudit, bien écrit, le personnage du sénateur est bien campé, je sais déjà que je lirai tous les autres.
    Et quand j’aurai terminé cette série, je passerai sûrement aux aventures de frère Cadfaël 🙂
    Bonne journée !

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