Dans un paisible village des Vosges, la vie s’écoule au rythme des travaux des champs et des ragots des commères jusqu’au jour où l’arrivé d’un singulier personnage bouleverse ce fragile équilibre…
L’auteur:
Romancier, historien et folkloriste, Roger Maudhuy vit dans un hameau des Vosges. Fin connaisseur des croyances et des superstitions populaires qui, il n’y a pas si longtemps, faisaient partie du quotidien de nos aïeux, il est l’auteur d’une soixantaine d’ouvrages.
Le roman:
Le sorcier de la Maucroix a été publiée par les éditions De Borée en 2019. C’est le premier ouvrage de Roger Maudhuy que je lis et je découvre une plume riche et ronde, un peu précieuse, qui témoigne de son amour des mots, de la langue: « Midi sonnait, dans une atmosphère fébrile et bon enfant, avec un soleil d’or qui tombait en large pluie sur les champs de damiers chamarrés, quand apparut la carriole vétuste du marchand de peaux de lapin, que la même haridelle tirait depuis des années. » (Page 14)….. »D’une narine frémissante, comme le ferait un animal, il huma l’odeur chaude du pain frais et celle du bouillon qui exhalait une grasse vapeur. Sur un guéridon, le cidre jaune luisait, joyeux, clair et doré, dans un pichet en verre blanc. » (Page 25).
Le ton est léger, teinté d’un humour bon enfant. Les savoureux dialogues à la Pagnol se dégustent comme une friandise longtemps attendue.
Humour: « -Il y a des gens qui ont de mauvais yeux. -Ou le mauvais œil! Et ses dents vertes, comme celles du diable? -Tu as vu les dents du diable, toi? » (Page 26)… »-On ne peut donc pas l’expulser. Il a des papiers, il a de l’argent, et même si c’est un Allemand, même si Léontine l’accuse d’être un sorcier et de faire mourir Hyacinthe, y a rien de concret à lui reprocher. Un ange passa. Et même toute une procession. » (Page 89)…. »Le père portait un costume de velours qui le matin avait dû être bien étonné d’être soigneusement brossé. Le fils avait une sorte de costume verdâtre, dans lequel il avait l’air d’un haricot pas très frais. » (Page 95).
L’intrigue:
Fin 19e siècle. Pouilly-sur-Meuse est un petit village où la vie s’écoule au gré des saisons,

des travaux des champs et des cancans des ménagères. Jusqu’au jour où arrive le « sorcier » qui semble vouloir, au grand dam des administrés d’Anatole, s’installer dans la région. La guerre contre les Prussiens est terminée depuis un certain temps mais les cicatrices sont encore sensibles. : « -Tu dois l’empêcher de s’installer ici! reprit Léontine. -Et comment? Il a des papiers, il a de l’argent…Ce n’est pas un vagabond. -C’est un Allemand! Tu es le maire! -Et alors? Ça ne suffit pas… -Fais un rapport à la préfecture… -Pour leur dire quoi? qu’un Allemand veut acheter des ruines et que ma belle-mère croit que c’est un sorcier parce qu’il a des gants rouges? » (Pages 49-50)
Mais voilà que Hyacinthe, qui a refusé de lui vendre un ancien ermitage qui appartient à sa famille et dont il ne fait rien, tombe subitement malade. Le « sorcier » lui aurait-il jeté un sort? Dès lors, la tranquillité du village n’est plus qu’un mirage évanoui comme la rosée du matin aux premiers rayons du soleil levant. D’autant qu’il semble s’intéresser d’un peu trop près à Yvonne, toujours pas mariée, ce qui cause bien du souci à son père
Le seul moyen de protéger la jeune femme des sortilèges du « sorcier » serait de la marier. Mais à qui? Les prétendants acceptables ne sont pas légion; on peut même dire qu’ils se comptent sur les doigts non des deux mains, mais d’une seule. Le problème est qu’ils sont soit trop vieux, soit trop jeunes, soit déjà promis. Ne reste que « Sabot », le dernier fils du vieux Tonka, un gringalet à la poitrine creuse, issu d’une famille de manants. Cruel dilemme pour Anatole qui, bientôt, aura bien d’autres chats à fouetter.
Distribution:
Les personnages de cette histoire, hauts en couleur, semblent tout droit sortis d’un film de Pagnol, agrémentés de la touche perso de l’auteur; une combinaison très réussie:

- Anatole Leboeuf: maire de la commune; à cheval entre traditionalisme et modernisme.
- Léontine: belle-mère du maire (sans jeu de mot!!); incarne la tradition et les croyances populaires.
- Yvonne: fille unique d’Anatole; menacée de rester vieille fille.
- Hyacinthe: le forgeron.
- Pierre: le cafetier.
- Champenois: le braconnier.
- L’instituteur: forte tête, célibataire, laïc.
- Lambert: l’épicier.
- Emile: le bûcheron.
- Le curé…
- Johann Kreul: le sorcier allemand.
Les lieux:

Toute l’action du roman se déroule dans le petit village de Pouilly-sur-Meuse, situé aux confins des Ardennes et de la Meuse. C’est « un village typiquement lorrain, un village-rue, avec ses usoirs plus ou moins encombrés de fumier, de bois pour l’hiver, de fagots, de vieilles roues, d’outils et de charrettes qui levaient les bras au ciel. Son coeur était la grand-rue, deux rangs de maisons et de granges collées les unes aux autres, avec à chaque bout une sorte d’excroissance abritée sous un symbole d’autorité. D’un côté la mairie, avec ses deux colonnes qui tentaient de lui donner un air grec, et autour quelques commerces et une forge ouverte sur une placette…De l’autre, sur une butte de terre qui la rendait plus imposante, l’église, lourde, massive, sans style, flanquée d’un presbytère séparé de la rue par une jardin clos de murs moussus. » (Pages 11-12). Le décor est planté.
En conclusion:
Le +: Roger Maudhuy a su recréé une délicieuse atmosphère villageoise, avec ses personnalités identifiés non par leur famille mais par leur fonction dans le village (le cafetier, le boulanger, le sacristain, etc…), ses superstitions et ses traditions populaires. Tout un monde aujourd’hui révolu mais dans lequel, le temps d’un roman, nous nous plongeons avec beaucoup de plaisir.
Le sorcier de la Maucroix, tant par son ambiance surannée, ses personnages drôles et

attachants, ses décors et sa mise en scène soignés, ses dialogues et son humour, propose un récit très agréable qui se lit en une après-midi. Roger Maudhuy vous invite à un voyage dans le temps à la découverte d’un monde qui oscille entre traditions et superstitions réconfortantes parce qu’issues de la nuit des temps, et velléités d’un modernisme suspect. Chacun fait comme il peut pour se raccrocher à des valeurs qui le sécurisent et lui promettent, après le bouleversement de la guerre, un monde solide dans lequel il pourra bâtir et transmettre.
Citations:
« Il y avait la loi, d’accord, mais il y avait aussi les petits arrangements. Et le Pierre avait la tournée facile quand passait la maréchaussée. » (Page 32).

« C’est bien une Richard, celle-là? Ils sont aussi bêtes que leurs vaches, mais plus malins et plus sournois qu’une armée de jésuites quand il s’agit de leurs sous. Avec ça, une mauvaise foi à faire pâlir d’envie le plus roué des candidats à la députation. » (Page 108).
« Puisqu’on peut dompter un lion…Puisqu’en Asie on fait travailler les éléphants comme nous les chevaux…Puisqu’on fait parler un perroquet…Puisque les Romanichels savent dresser des ours…Si on le prend tout petit, pourquoi ne pourrait-on pas dresser un loup? » (Page 130).
« Le curé, le verre à la main, parlait avec conviction du mariage chrétien tout en faisant largement honneur à la bouteille. Il était si convaincant qu’Anatole, eut la tentation de lui demander pourquoi, si le mariage était une si belle chose si bien prônée par l’Eglise, pourquoi les curés ne se mariaient pas? » (Page 155).
Une histoire qui semble pleine de promesses!
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C’est vrai que c’est drôle tout en abordant des thèmes intemporels, comme le droit à la différence, avec des personnages à la « Pagnol », par exemple le maire et sa belle-mère
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