Publié dans amitié féminine, angoisse, éditions Hugo Thriller, cadavre, corruption, féminisme, Passion polar français, psychologie des personnages, sorcellerie

Passion polar français: American Witches, Katia Campagne.

Qui croirait que notre siècle moderne et soi-disant progressiste recèle de vieux relents d’intolérance et de haine primaire face à ce qui est différent venus de la nuit des temps??

L’auteur:

OIPKatia Campagne, âgée de trente-neuf ans, est une romancière française auteur de thrillers, dont deux auto-édités. Grande fan de Stephen King et de Masterton, elle a commencé à écrire en 2015 après une carrière dans les ressources humaines. Sa marque de fabrique: des histoires de familles où se mêlent parfois le fantastique et l’horreur.

Le roman:

American Witches a été publié en 2020 par les éditions Hugo Poche dans la collection Suspense. Il a obtenu le Prix Fyctia 2020.

L’écriture de Katia Campagne est ciselée, vive, efficace, avec parfois un soupçon de téléchargement (2)cynisme, ensemble qui donne au roman son originalité: « Elle est ici depuis un long moment, c’est sûr. Car elle s’est endormie et réveillée plusieurs fois. Elle sait qu’elle a froid, qu’une migraine atroce lui laboure le crâne, que son ventre brûle et qu’elle a en bouche un goût amer. Celui de l’espoir qu’elle nourrissait ce matin encore -s’il s’agit bien de la même journée. Il s’est envolé lui aussi. Mais elle ne sait plus pourquoi elle est ici, ni pourquoi elle a si mal. Pourquoi elle se sent si mélancolique. » (Page 8).

Fil rouge: sorcellerie moderne: « On ne parle pas d’occultisme ou de potion magique, raille la vieille femme, même si c’est vrai que les filles s’en amusent, un peu comme un hommage. On te parle d’un temps où les femmes étaient brûlées en place publique si elles osaient vouloir rester célibataire ou avoir un métier considéré comme réservé aux hommes. » (Page 55).

L’intrigue:

Découverte d’un cadavre sur un chemin forestier selon une mise en scène particulière, « étendu au milieu du sentier, pile à la croisée des chemins menant à Hinsdale, Pittsfield, Lanesborough et Windsor. Un membre dans chacune des quatre directions, comme autant de points cardinaux qui ne guideront plus le chemin de personne. Elle repose sur un lit circulaire d’herbe brûlée et, accolés à ce cercle, deux autres, formés par une poudre blanche, sont entrelacés. »

Sorcellerie? Satanisme? L’assassin a-t-il voulu maladroitement imiter un rituel de magie noire? Ou s’agit-il d’une vengeance contre les féministes du groupe « Les Sorcières de Salem » qui milite activement en faveur des droits des femmes qui, à l’occasion, s’amusent aux dépens des villageois?

L’affaire prend une bien étrange tournure: comment expliquer qu’Ethel, le nouveau shérif, reçoit une demande d’ami sur Instagram émanant de Tara Stevens, la victime? Qui la lui a envoyée et pourquoi? Qui a sorti le corps de la jeune femme du tiroir de la morgue dans lequel il était enfermé? Et pourquoi avoir déposé la montre d’Ethel dans la sac mortuaire, montre qui se trouvait la veille encore sur la tablette de sa salle de bains? Le jeune homme, perturbé par ces événements qu’il ne parvient pas à expliquer rationnellement, commence à douter du bien-fondé de sa décision d’accepter ce poste loin de Boston…

Le meurtre de Tara Stevens aurait-il un rapport avec celui d’Eve Cardel, retrouvée morte cinq ans plus tôt à East Mountain, vaste plateau situé dans les montagnes, le nom de ce lieu se trouvant dans la bouche de Tara? Pourtant, l’affaire a été classée, Erny Cardel purgeant une peine de prison pour avoir tué sa femme. Alors??

De fausses pistes en indices quasiment inexistants, le shérif et ses hommes, harcelés par le maire qui veut clore l’affaire au plus vite, ont fort à faire. Mais, malgré les divergences générationnelles et méthodologiques, ils forment une bonne équipe prête à résoudre cette enquête coûte que coûte…

Les personnages:

Immersion dans l’univers étriqué d’une petite ville américaine avec ses protagonistes incontournables: le maire corrompu, le shérif bourru mais intègre; ses deux adjoints limités mais sur qui il peut compter; le petit nouveau qui vient de la ville; ajouter à ce combo gagnant l’association de féministes peu appréciées par les villageois.

  • Ethel Green: relégué au poste shérif adjoint à Hinsdale, courageux, intègre, déterminé sous ses dehors naïfs; 26 ans; a tendance à trop dire ce qu’il pense et à contester les décisions de la hiérarchie.
  • Karl Rosenberg: shérif de Hinsdale bientôt à la retraite; râleur mais honnête et bon.
  • Zucko Mirandi: adjoint de Karl; carrure de rugbyman mais cœur de chamallow; adore ses gosses.
  • Dany Pirel: adjoint de Karl; forme avec Zucko un duo inséparable; gringalet décharné qu’on aurait tort de sous-estimer.
  • John Eymer: médecin généraliste et légiste; ami de longue date de Karl.
  • Charlie Weld: maire de Hinsdale; fils du gouverneur, conservateur; ne s’entend pas avec le shérif; se croit au-dessus des lois.
  • Tara Stevens: victime; une des plus grandes influenceuses sur Instagram, égérie de plusieurs marques.
  • Christabella: vieille femme qui vit seule dans la forêt, clairvoyante, fondatrice de l’association « Les Sorcières de Salem ».
  • Rosalie: femme de Karl; petite mais sait se faire respecter; loyale et capable d’empathie, a pris Ethel sous son aile.
  • Emelyne Mailand: féministe, analyste financière, spécialiste des manipulations informatiques; travaille pour le maire.
  • Katherine Priest: avocate; gère l’association féministe; sourire de façade, silhouette de rêve, mais féroce et implacable.

Les lieux:

Hinsdale: petite ville paumée du Massachusetts située à 250 kilomètres de Salem, lieu mythique où se déroula la fameuse affaire des sorcières de Salem en 1692 qui sert de soubassement au roman American Witches, comme un clin d’œil facétieux de l’auteur: « ça sent la terre, l’humus, le champignon, l’air est saturé d’odeurs, cette ville entière dégage un arôme particulier, saisissant, palpitant. Il l’a perçu dès sa descente d’avion, qu’ici rien n’est ordinaire. C’est un petit comté, une petite bourgade dont la couverture nuageuse est quasi constante, ça rend l’endroit lugubre, déprimant. » (Page 77). 

La forêt: omniprésente, elle incarne les forces obscures, la magie noire; elle est le refuge des « sorcières », notamment de Christabella, personnage énigmatique mais bienveillant, tout droit sorti d’un conte de fées. « Ethel sent des picotements sur sa nuque, cette fichue forêt lui file la chair de poule. « On dirait qu’elle vibre », lui a fait remarquer sa logeuse…Il secoue la tête. Non, on dirait qu’elle transpire. Une sueur moite et âcre qui vous colle à la peau et pénètre dans votre corps comme l’humidité dans les murs. » (Page 13)… »Cette forêt que tu détestes tant, poursuit-il en allumant sa cigarette, c’est le premier cimetière du comté. Des tas de femmes ont été enterrées dedans parce qu’en tant que sorcières elles ne méritaient pas une sépulture décente. Autant te dire que les balades au clair de lune n’ont pas le même goût qu’ailleurs, par ici. » (Page 118).

L’ambiance: vous l’aurez compris, l’atmosphère qui règne tout au long du roman est largement imprégnée de relents nauséabonds, de sorcellerie sulfureuse, idéale pour masquer des crimes bien tangibles, les bonnes gens se retranchant derrière des clichés pour combattre ce qu’ils considèrent comme déviant: « …les autres, il les sent tendus, irrités. Les Sorcières ont fait parler d’elles, encore une fois, et quelqu’un est mort, encore une fois. Karl les connaît bien, peu leur importe que ce ne soit qu’une mise en scène, peu leur importe la présomption d’innocence, tout ce qui se passe dans cette forêt est obligatoirement la faute des filles. Parce qu’elles leur font peur, à ne pas vouloir rentrer dans le rang. » (Pages 150-151).

En conclusion:

« American Witches » est un roman qui mêle intelligence, humour, humanité, psychologie des personnages, abordant des thèmes sérieux tel que le féminisme et les questions qu’il pose à la société, comment il est perçu par les gens qui y sont étrangers, mais également la sorcellerie, non pas celle de bazar des films de série D mais la sorcellerie dans ses aspects historique et moral, un hymne à la liberté et au droit de chacun de décider de sa vie.

Le +: la façon originale dont les protagonistes et la ville sont présentés: sous forme de conversation entre le shérif titulaire et son futur remplaçant pendant qu’ils se rendent sur la scène de crime.

Le +: la façon originale dont les protagonistes et la ville sont présentés: sous forme de conversation entre le shérif titulaire et son futur remplaçant pendant qu’ils se rendent sur la scène de crime.

Citations:

« Il finit par tomber sur l’une de ses pubs et s’attarde dessus, un peu gêné. Il a toujours trouvé que ça avait un petit côté pervers, de fouiner comme ça dans la vie des gens qu’on ne connaît pas, à l’abri d’une connexion Internet anonyme. Pervers et tellement facile. On peut tout savoir des gens si on regarde ce qu’ils postent avec autant d’impudeur. Une vraie mine d’informations pour les détraqués. Et puis, il y a ceux qui se libèrent. Qui osent sou couvert d’un écran. Parce qu’on peut être n’importe qui à travers ce qu’on expose. S’inventer une vie, une personnalité. » (Page 74).

« La nappe de brouillard a envahi la forêt. Blanche, très blanche, elle engloutit les sons, les odeurs et les esprits. L’air s’est rafraîchi et l’humidité lui colle à la peau, imprimant sur son front de minuscules gouttelettes d’eau qui réapparaissent aussitôt qu’il a essuyé les précédentes. Il regarde autour de lui la blancheur cotonneuse et angoissante qui l’encercle, lève avec appréhension les yeux vers le ciel, capte quelques étoiles scintillantes. Il se focalise sur cette minuscule trouée dans la chape de plomb pour y chercher une échappatoire. Une raison à sa présence ici. » ( Page 91).

« Les sorcières nourrissent l’imaginaire populaire. Des siècles durant, la culture dominante a persécuté tous ceux qui ont osé être différents: guérisseurs, sages-femmes, femmes indépendantes ou simplement érudites. Les femmes avec un fort caractère ou une sexualité considérée comme libérée ont été prises pour des sorcières, jugées, condamnées et tuées comme telles. La figure de la sorcière combat les normes et les contraintes sociales. Elle incarne une subjectivité féministe qui fait trembler l’ordre patriarcal. » (Page 128).

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