« Les innocents qui entrent en prison en ressortent coupables. Ceux qui le sont déjà en ressortent plus violents qu’ils ne l’étaient auparavant. »
L’auteur:
Née le 4 juin 1971 à La Seyne-sur-Mer, dans le Var, Karine Giebel est une romancière française auteur de thrillers psychologiques. Après avoir effectué divers petits boulots, Karine Giebel, titulaire d’une licence de droit, intègre la fonction publique territoriale où elle occupe un poste de juriste chargée des marchés publics pour une communauté d’agglomération.
En 2004 et 2006, elle publie ses deux premiers romans dans la collection Rail Noir aux éditions La Vie du Rail. Elle est l’auteur d’une douzaine de romans et de nombreuses nouvelles. Les Morsures de l’Ombre et Toutes blessent, la Dernière tue ont obtenu de nombreuses récompenses. Le talent de la romancière pour concocter des intrigues aussi prenantes que tragiques pour certaines n’est plus à prouver.
Le roman:
Glen Affric a été publié par les éditions Plon en novembre 2021. Le style de Karine est percutant, parfois même télégraphique, des phrases courtes et des mots simples allant à l’essentiel: « Ils te bousculent, t’insultent, t’humilient. Leur jeu favori. Ils fouillent ton sac, récupèrent leur butin. Dérisoire. Alors ils cognent, évitant ton visage pour ne pas y laisser de traces. Contrairement à toi, ils sont malins.
Triso.
Bâtard.
Comme ça qu’ils t’appellent. » (Page 10)… »Mathieu a fini de ranger sa cellule. Pas grand chose à récupérer de ces seize années passées derrière les barreaux. Des cicatrices, des hématomes, quelques fractures. Des regrets, des rancœurs, une profonde amertume. Quelques rencontres, quelques amitiés solides ou vaines, une éternelle colère. Une haine tenace. » (Page 107)=>Mots simples dont la succession exprime tout un monde de douleur, de malheur, d’injustice.
Construction: la structure complexe du roman enchaîne des chapitres consacrés à Léo; à son frère Mathieu dont la mémoire navigue entre maintenant et avant, quand il était avec Cisco; à elle, femme anonyme dont on suit le calvaire de sa vie quotidienne sans savoir quel lien la relie à l’histoire de Léonard.
Leitmotiv: phrase qui hante Léonard et le rassure quand sa vie devient trop dure: « Ce que tu aimerais, parfois, c’est disparaître. Etre ailleurs. Loin d’ici. A Glen Affric. »
Thèmes: maltraitance, harcèlement, violence de la vie carcérale, droit à la différence, l’injustice, l’amitié.
L’intrigue:
Léonard, jeune garçon un peu attardé mental âgé de quinze ans, est le souffre-douleur de Jules et ses sbires. Bien que possédant la taille et la force d’un homme, il ne se défend pas. Il a promis à Mo. Sa mère. Ce qui l’aide à tenir le coup c’est la certitude que son frère Jorge, parti à Glen Affric, en Ecosse, reviendra un jour. Et si Jorge ne revient pas, il ira le chercher. A Glen Affric.
Mathieu accusé du viol et du meurtre de sa petite amie est incarcéré depuis seize longues années. D’autant plus longues qu’il se proclame innocent. Mais ayant obtenu une liberté conditionnelle, Mathieu va sortir de l’enfer de la prison. Pour se retrouver dehors, à l’air libre. Mais c’est comment dehors? Il a oublié et la réadaptation de sera pas simple. Car personne n’a oublié son soi-disant forfait…
Léonard, quant à lui, va également faire l’apprentissage de la prison, pour s’être rebellé, pour s’être seulement défendu. Il ne sera enfermé qu’un mois. Quatre semaines qui vont changer sa vie à jamais. Qui vont lui montrer la noirceur, la cruauté, la violence dont les humains sont capables. Mais Et transformer son rêve en cauchemar…
Les personnages:
- Léonard: jeune garçon attardé mental, taille de colosse, fils de Mona; gentil, naïf, veut bien faire mais ne comprend pas les règles du monde dans lequel il vit.
- Mona: mère de Léonard et de Jorge; prête à tout pour défendre ses fils.
- Jorge: frère de Léonard; jeune homme meurtri, impulsif, qui essaie de se sortir du marasme dans lequel son incarcération l’a plongé.
- Hadrien: seul ami de Léonard.
- Vicky: fille des employeurs de Mona; amie de Léonard qu’elle défend contre ses tortionnaires; volontaire et courageuse.
- Jules: chef de la bande qui raquette Léo; fils du médecin, donc intouchable.
- Nanosh: compagnon de cellule de Léo; loyal et gentil sous ses dehors abrupts.
En conclusion:
Forgé selon le thème du célèbre roman de John Steinbeck Des Souris et des Hommes, publié en 1937, deux ans avant Les Raisins de la Colère, Glen Affric est un roman bouleversant. On ne peut s’empêcher de se sentir révolté par le destin tragique du jeune Léonard, perdu dans un monde impitoyable envers ceux qui ne rentrent pas dans les moules forgés par la société. Parce qu’il est attardé mental, il est la proie favorite et tellement facile d’une bande de jeunes gens cruels et stupides à qui on a oublié d’enseigner l’empathie et la bienveillance envers autrui, surtout ceux qui en ont le plus besoin. Et parce que Léonard est un garçon loyal et fiable, qui respecte la parole donnée à sa mère, il ne se défend pas. Jusqu’au jour où tout bascule.
Avec son écriture écorchée vive, parfois taillée au scalpel, tellement en phase avec l’histoire tragique de Léonard et de Jorge, Karine Giébel aborde les thèmes de l’injustice, du harcèlement et de la violence gratuite avec beaucoup de sensibilité et de dignité, trempant parfois sa plume dans le vitriol de la révolte.
On voudrait tellement mettre un bon coup de pied aux fesses de Jules et ses potes afin de les remettre dans le droit chemin, de leur faire comprendre qu’il existe des façons plus dignes de se rendre intéressants et populaires. Et changer ce système judiciaire impitoyable qui permet d’enfermer des agneaux avec des loups sanguinaires, sans se préoccuper de leur devenir…Même si parfois un loup peut se montrer humain et tendre une main amicale…
Citations:
« Mathieu se souvient qu’avant, il avait des projets. Un avenir. Il hésitait entre plusieurs voies, se posait des questions. Choisir des études, un métier, une carrière. Avoir le choix, simplement. Un luxe dont il avait oublié le goût. Mais il a oublié tant de choses…Il a enterré ses rêves et ses espoirs. Aux yeux de tous, il n’est plus qu’un prisonnier, un criminel, un déchet que la société peine à recycler. Aujourd’hui, il a presque oublié son nom. Aujourd’hui, Mathieu n’est plus qu’un numéro. Matricule 8275. » (Page 39).
« -C’était ton ami? demande-t-il. -Je le croyais. Je me suis planté. -Il a eu peur, c’est tout, dit Léonard. -Et toi, tu as eu peur, John? -Oui, et j’ai cru que Kaan, il allait me tuer. -Et pourtant, tu es venu. Ca s’appelle le courage. T’es con comme mon pied gauche, mais t’as une sacrée paire de couilles, John. » Léonard hésite entre la peine et la fierté. Bête mais courageux. Crétin, mais fort. Mieux que rien, se console-t-il. » (Page 187).
« Il sursaute chaque fois que la porte de sa chambre s’ouvre. Devant ses yeux ouverts se dressent les hautes enceintes et les miradors. Autour de son corps s’enroulent les barbelés. Ils mordent sa chair, déchirent sa peau. Et dans son crâne, le bruit des clés dans les serrures et celui du claquement des grilles résonnent sans cesse dans un écho infernal. Le pire, ce sont les cauchemars. Bien sûr, il y a toujours l’enfermement entre ces murs de pierre, cette boue dans laquelle il se noie et cette totale obscurité. Mais désormais, il y a plus terrifiant encore. Il y a le sang, les cris, la peur qui s’est transformée en panique. »