Publié dans adultère, amour, Angleterre, littérature britannique, Paroles de Femmes

Paroles de Femmes: L’Adultère, Elizabeth Bowen.

L’adultère qui va bouleverser la vie des protagonistes n’est pas celui auquel le lecteur s’attend…S’ensuit un jeu de dupes savamment mis en scène, dans la période troublée de l’entre-deux guerres.

L’auteur:

Elizabeth Bowen, née le 7 juin 1899 à Dublin et décédée à Londres le 22 février 1973, est une nouvelliste et romancière irlandaise. A l’âge de douze ans, elle perd sa mère. Deux ans plus tard, elle intègre un pensionnat anglais où elle poursuit ses études. Lorsque son père se remarie, sept ans après le décès de sa mère, elle décide de mener sa vie, vivant l’hiver à Londres et passant ses étés en Italie. Afin d’améliorer ses revenus, elle abandonne sa vocation de peintre et se consacre à l’écriture de romans et de nouvelles. En 1923, elle publie son premier recueil de nouvelles intitulé Encounters. Au fur et à mesure des années, son indéniable maîtrise pour ce genre particulier qu’est la nouvelle s’affinera jusqu’à la quasi perfection. En 1927, elle publie The Hotel, son premier roman, dans lequel les caractéristiques de son talent se font jour: une intuition pénétrante, une perspicacité redoutable, une ironie mêlée de sympathie pour les bassesses humaines, un esprit caustique mis en valeur par son style incisif. Son œuvre, étoffée de nombreux recueils de nouvelles et de romans tout aussi originaux que divers, est parfois comparée à celles de ses consœurs Jane Austen et Virginia Woolf.

Le roman:

L’adultère, Friends and relations dans la version originale parue en 1931, a été publié par les éditions Joëlle Losfeld en avril 1994, dans la collection Littérature étrangère. Le style un peu guindé, alourdi par la dominance du style indirect, bien dans la manière de l’époque, peut dérouter certains lecteurs habitués à une écriture plus fluide; mais il serait dommage de se laisser intimider. L’écriture d’Elizabeth Bowen, romancière féconde et originale, recèle de véritables trésors: « Il serait bon que Janet voie des modèles et prenne des échantillons. La jeune fille était d’accord. Elle avait cependant jeté en secret son dévolu sur une robe de mariée dorée, dont elle parlerait pour la première fois à lady Elfrida. Elle serait une mariée d’octobre: on pouvait prévoir des chrysanthèmes, une certaine qualité de soleil. Janet (sans clairement formuler cette idée pourtant, ni aucune autre d’ailleurs) se représentait le Temps comme un personnage féminin, docile mais pervers, agréablement soumis à la dominance de certaines volontés, sur lequel Rodney ne manquerait pas d’exercer une contrainte. » (Page 24). Construction: l’organisation décousue des chapitres, distillant les repères chronologiques au compte-gouttes, est parfois déroutante. Les actions et les scènes exemptes de détails s’enchaînent les unes après les autres, dans une suite dont on peine parfois à relier les morceaux entre eux. Toute l’histoire est construite autour des pensées, des ressentis, des interactions entre les différents personnages. Chaque chapitre donne le point de vue de l’un des personnages, faisant ainsi évoluer l’intrigue dans diverses directions, donnant au lecteur le sentiment de n’être qu’un pion dont l’auteur use à loisir.

L’intrigue:

Dans le contexte d’indécision de l’après-guerre, celle de 14-18, Laurel épouse Edward. Quant à Janet, sa jeune soeur, elle souhaite épouser Rodney Meggatt. Les Studdart ne sont-ils pas au courant que lady Elfrida, mère d’Edward, a eu jadis une liaison scandaleuse avec l’oncle de Rodney? Mais pourquoi les conventions sociales devraient-elles se mettre en travers du bonheur de Janet: « Lady Elfrida écrivit aussitôt à Cheltenham. Elle ne trouvait pas du tout la situation embarrassante. Pas aujourd’hui, car chacun avait changé, et tous les autres étaient morts. Elle remerciait les Studdart mais était incapable de les comprendre. Pourquoi sacrifier Janet? » (Page 21). L’adultère de lady Elfrida jetterait-il des ombres sur le mariage des deux couples? Quelle sera l’attitude d’Edward à l’égard de Rodney? Allait-il rendre les choses difficiles parce que ce dernier n’avait pas répudié son oncle? 10 ans plus tard. Tandis que plane sur les deux familles  l’ombre d’un autre adultère resté en suspens, le fait qu’Edward ait hésité entre les deux soeurs avant d’épouser Laurel revient comme un boomerang: « Plus avant, elle considéra l’ancien péché qui étendait ses ramifications, encadré de part et d’autre, comme le pommier fatal d’un vitrail de fenêtre, par l’homme et la femme, Considine et Elfrida, liés uniquement par la symétrie du motif dans l’ombre. » (Pages 139-140).

Les personnages:

  • Laurel Studdart: charme et beauté irrégulière; très gourmande; profond sens de la responsabilité sociale; voit tout avec un regard neuf.
  • Colonel Studdart: père de Laurel.
  • Edward Tilney: mari de Laurel; caractère sans affectation aucune.
  • Janet: jeune soeur de Laurel; caractère farouche, peu de charme, de nombreux centres d’intérêt; grande maîtrise d’elle-même.
  • Lady Elfrida: mère d’Edward; divorcée, nature expansive, extravagante, manquant de réserve, aucun sens de la mode ni de la bienséance.
  • Rodney Meggatt: neveu et héritier de Considine Meggatt;  fiancé puis mari de Janet; jeune homme aimable et scrupuleux, de nature paisible.
  • Considine Meggatt: oncle de Rodney; réputation de séducteur impénitent.
  • Theodora Thirdman: cousine de Laurel et Janet; humeur changeante, caractère difficile et emporté.
  • Willa: mère de Théodora; cousine désargentée des Studdart.
  • Lewis Gibson: meilleur ami d’Edward.
  • Marise Gibson: soeur de Lewis; pensionnaire à Mellyfield, chef de dortoir.
  • Anna et Simon: enfants de Laurel et Edward.
  • Hermione: fille de Janet et Rodney.
Par ses manières scandaleusement frivoles, lady Elfrida symbolise la désinvolture, tout le contraire de ce qu’une femme de sa classe sociale doit être; elle est celle par qui le scandale arrive et bouleverse l’équilibre de sa famille, au point que son mari en divorcera. Divorce dont les conséquences se feront ressentir pendant de longues années.

En conclusion:

L’Adultère, initialement publié en 1931, se situe à la croisée de deux mondes, proposant deux visions différentes de la société anglaise: l’ancienne génération, celle des parents, encore attachée aux traditions et convenances avec lesquelles eux et leurs parents ont tissé la trame de leur vie; la nouvelle génération, celle issue du chaos de la première guerre mondiale, voit le monde d’un regard neuf et désire s’extirper des vieux préceptes étouffants et poussiéreux, ne plus vivre engoncés dans une société figée, nostalgique de la période victorienne. Malgré un style alourdi (peu de dialogues et beaucoup de style indirect), Elizabeth Bowen analyse avec  perspicacité les relations que chaque protagoniste entretient avec les autres: ceux qui sont désireux d’oublier ce terrible adultère pour aller de l’avant, estimant que les convenances sociales devraient passer après le bonheur de Janet et Rodney. Ceux, pas forcément les plus âgés, qui se raccrochent de toutes leurs forces aux fondements moraux de la bonne société, interdisant de faire passer son propre plaisir avant la bienséance. Savoir bien se comporter en toutes circonstances, sans se préoccuper de ce que l’on veut ou veut pas. Avec pour résultat des personnages à la psychologie soignée, chacun se trouvant confronté à un terrible dilemme: doit-on faire comme si l’adultère de lady Elfrida n’avait pas existé et continuer sa propre route vers le bonheur, conjugal s’entend? Si l’on agit de la sorte, quel regard la société posera-t-elle sur la famille? Elizabeth Bowen, une romancière à (re)découvrir…

Citations:

« Janet sortit des arbres en direction du jardin, pour s’asseoir auprès de son père. Mais il dormait encore, il n’émit même pas un grognement; elle eut l’air désemparé. Elle se trouvait donc livrée à elle-même. Elle ne leva pas les yeux vers la maison. Lewis se demanda ce qu’elle allait faire. Elle se tenait très droite dans l’ombre du hêtre, un peu derrière sa chaise longue, sentinelle oublieuse l’oubli. Sa main bougeait lentement au-dessus du dossier, sans toucher l’osier, façonnant l’air; elle ne souriait pas tout à fait. » (Page 77). « Aujourd’hui c’était sans aucun doute le village le plus mouillé du monde: le malheureux lilas tardif était trempé; ses feuilles ruisselaient comme des gouttières. La pluie se déversait sur les seuils obscurs; les maisons en plâtre étaient prises de panique; les pavillons en brique boudaient. La fumée des feux du dîner stagnait, s’accrochant aux arbres, et sous les toits où une vieille femme refusait encore de mourir, les géraniums étouffaient, se pressant contre la vitre. » (Page 88). « Mrs Meggatt souhaitait que lady Elfrida Tilney lui téléphone le plus vite possible. Le pharmacien proposa son appareil, et d’avance, sa sollicitude. Avec la forte impression d’être entraînée dans un tourbillon fatal, elle se glissa derrière les flacons. L’assistant cessa son travail, une voix retentit dehors; dans la rue et le magasin, entre les maisons, un chaud silence urbain se désintégrait sous l’effet de l’anxiété d’Elfrida, comme un air confiné brusquement inondé de soleil. » (Page 112).

4 commentaires sur « Paroles de Femmes: L’Adultère, Elizabeth Bowen. »

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      Aimé par 1 personne

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