Publié dans Angleterre, éditions Presses de la Cité, cadavre, crime, enquête criminelle, Passion polar

Passion polar: Une Douce Vengeance, Elizabeth George.

Bien que publié en 1991, voici le premier roman  chronologique de la série Lyndley/Travers…

L’auteur:

Elizabeth George est une romancière américaine née le 26 février 1949 à Warren, petite ville de l’état d’Ohio, dans le nord-est des Etats-Unis. On ne présente plus la plus anglaise des auteurs de romans policiers américains. Depuis 1988, elle nous enchante avec ses intrigues bien ficelées dans la plus pure tradition du Whodunit, roman à énigme, genre qui a vu le jour en Angleterre dans les années 1920, dont Agatha Christie est la représentante la plus illustre. Elle est la créatrice d’un duo d’enquêteurs formé par le lieutenant Thomas Lynley, aristocrate et excellent policier, et le sergent Barbara Havers, issue d’un milieu populaire. Thomas tente de faire oublier ses origines sociales mais n’y parvient pas toujours. Parfois Barbara, entêtée et indisciplinée, ne se gêne pas pour le rappeler à l’ordre. Bien qu’ayant grandi dans des univers radicalement opposés, leur duo fonctionne plutôt bien, basé sur le respect et la soif de vérité. Leurs principales divergences: leurs méthodes et leur philosophie de la vie.

Le roman:

Une Douce Vengeance, A Suitable Vengeance dans la version originale parue en 1991, a été publié par les Presses de la Cité en 1993. Bien qu’ayant été écrit après les trois premiers tomes, chronologiquement le roman raconte des événements qui se sont déroulés avant.

Le style de l’auteur est soigné, mêlant une écriture parfois un peu guindée à des expressions modernes, mais toujours très agréable à lire: « C’est alors que Lynley et ses amis purent constater que la statut d’invités d’honneur présentait au moins un avantage, qui était de leur faciliter l’accès aux rafraîchissements. La foule, qui s’était élancée quelques instants plus tôt pour puiser un légitime réconfort dans l’absorption de pintes de Watney et de Bass, s’écarta en effet sportivement sur leur passage, leur permettant ainsi d’atteindre plus rapidement l’estaminet de fortune. » (Page 112)…Le ton est résolument moderne, aussi bien dans les tournures que dans le vocabulaire utilisé: « Que tu me croies ou que tu me croies pas, j’en ai rien à cirer. Avoue que j’ai eu le nez creux: si je ne m’étais pas pointé ici ce matin, j’aurais manqué les festivités. Mais peut-être était-ce que tu voulais? Peut-être préférais-tu me tenir à l’écart? Ca t’aurait permis d’étouffer un vilain petit secret de famille. Faut pas que ta petite rouquine les découvre tous à la fois. » (Page 77).

Construction: Comme toujours dans les romans d’Elizabeth George, le rythme est lent, l’auteur prenant le temps d’exposer chaque scène en détails: « Elle sortit de derrière le bureau et s’approcha d’une chaise placée sous une carte du domaine. Elle s’y assit, les poings sur les genoux. Au bout du couloir, la porte claqua contre le mur sous une poussée un peu trop énergique. Des pas retentirent sur le carrelage. Nancy se raidit contre le dossier de sa chaise, dans l’espoir de passer inaperçue de celui ou de celle qui venait d’entrer. » (Page 86). Les deux premières parties (soixante-cinq pages) sont consacrées à la mise en place des différents éléments de l’intrigue: protagonistes, interactions et situation entre Tommy, Simon, Deborah et Helen.

Thèmes: trafic de médicaments; profit aux dépens de gens dans la détresse; trafic de drogue, toxicomanie.

L’intrigue:

Fin juin. Voilà trois ans que Deborah a quitté Londres pour étudier la photographie aux USA. Trois années de silence de la part de Simon. Déroutée et profondément déçue, Deborah a laissé Tommy combler le vide laissé par le silence de Simon et accepté sa demande en mariage.

Afin de célébrer leurs fiançailles, Tommy a invité famille et amis pour un long week-end dans la propriété familiale, Hovenstow. L’été, cette année-là, est particulièrement sec et chaud. L’atmosphère est lourde, à l’extérieur comme à l’intérieur: « Comme l’été avait été jusque-là d’une exceptionnelle sécheresse, une fine pellicule grise habillait les feuilles des rhododendrons qui bordaient l’allée; les arbres surplombant l’avenue semblaient être là moins pour donner de l’ombre que pour retenir prisonnier sous leurs branches l’air sec et lourd. » (Page 67). =>Illustrant parfaitement la tension croissante qui règne entre les personnages, pour de multiples raisons que l’on découvrira au fur et à mesure du récit.

Mais le week-end s’avère houleux: relations conflictuelles entre Tommy et sa mère depuis la mort de son père, quinze ans plus tôt; la présence d’un futur beau-père hostile à ce mariage; la présence de Simon, son ami et rival; l’arrivée inopinée de son frère toxicomane et de sa copine; l’intendant qui tente par tous les moyens d’éloigner son fils Mark, ami d’enfance de Peter, de son influence néfaste; fébrilité de Déborah qui doute, se demande si en épousant Tommy elle fait le bon choix; Justin, petit ami de Sid, sœur de Simon, qui s’adonne à son vice malgré sa promesse de n’en rien faire =>Autant de facteurs pour rendre l’atmosphère explosive.

C’est alors que vendredi, après la soirée théâtrale à Nanrunnel, Nancy découvre le cadavre de son mari allongé dans leur salon, émasculé, les tiroirs du bureau sortis de leur logement, de nombreux documents de toutes sortes jonchaient le sol, les photos avaient été arrachées de leur cadre. L’argent des paies des employés du journal disparu. Vol qui a mal tourné? Mais dans ce cas, pourquoi émasculer la victime? Ne s’agirait-il pas plutôt de la vengeance d’un mari trompé? Ou du père de Nancy qui voulait soustraire sa fille d’un mariage malheureux, son mari la trompant avec toutes les femmes qui lui plaisaient? Ou le meurtre a un rapport avec l’article sur lequel Mick travaillait avant de mourir, justifiant ses fréquents déplacements à Londres?

La police locale, convaincue de la culpabilité de John Pennelin, beau-père de la victime, arrête ce dernier. Tommy se trouve alors dans une position délicate: officiellement ce n’est pas son enquête; mais peut-il laisser accuser son intendant sans chercher à y voir plus clair? D’autant que certains détails lui montrent une autre direction. Dans laquelle il compte bien enquêter discrètement avec l’aide de Simon, Helen et Deborah.

Les personnages:

Des personnages travaillés, pas seulement des figurants: des portraits profonds et réalistes d’hommes et de femmes pris dans le tourbillon de leur vie, de leurs espoirs et de leurs déceptions, de leurs ambitions et de leurs rendez-vous manqués, marqués par des blessures =>Chacun lutte à sa manière pour se sortir soit d’une existence médiocre qui ne les satisfait pas, soit pour atteindre leurs rêves.

  • Lady Helen: amie de Thomas et Simon dont elle est l’assistante; femme spirituelle, bien élevée, déterminée et drôle; particulièrement douée pour obtenir les tuyaux les plus variés; nature sensible et généreuse.
  • Simon Saint-James: médecin légiste, meilleur ami de Thomas; travaille pour la police scientifique et, depuis son accident qui lui a coûté sa jambe, il possède son propre labo.
  • Deborah: jeune fiancée de Thomas, connaît Simon depuis son enfance; nature chaleureuse et affectueuse, sensible et vive d’esprit; photographe très douée.
  • Joseph Cotter: père de Deborah, valet de chambre et cuisinier de Simon sur lequel il veille jalousement; veuf.
  • Thomas Lynley: inspecteur à Scotland Yard; aristocrate anglais pure souche, 8e comte d’Asherton, ancien élève d’Eton.
  • Sidney Saint-James: soeur cadette de Simon, mannequin; très proche de son frère.
  • Justin Brooke: petit ami de Sidney; toxicomane prêt à tout pour assouvir son vice.
  • Peter Lynley: frère cadet de Thomas; toxicomane.
  • Sacha Nitford: petite amie toxicomane de Peter.
  • Lady Dorothy Asherton: mère de Peter et Thomas; veuve, fantasque et pleine d’entrain.
  • Mick Cambrey: mari de Nancy, journaliste, ami d’enfance de Thomas; gère le Spokesman depuis la maladie de son père.
  • John Pennelin: intendant du domaine Howenstow; père de Mark et Nancy.
  • Nancy Cambrey: fille de John, épouse de Mick; semble au bout du rouleau aussi bien physiquement que moralement.
  • Mark: fils de John, ami d’enfance de Peter; a joué de la batterie dans un groupe de rock; travaille sur le domaine avec son père.
  • Roderick Trenarrow: médecin, ami de la famille Asherton; amant de la mère de Thomas.
  • Edward Boscowan: inspecteur de la police locale; ami d’enfance de John Pennelin.

Les lieux:

Des descriptions soignées, des décors fouillés, de nombreux détails : tous les éléments sont réunis pour que le lecteur soit capable de se forger une image nette du cadre et de l’ambiance dans lesquels se déroule le récit.

Le labo de Simon: « Lady Helen examina le labo, le voyant pour une fois non comme le centre de la vie professionnelle de Saint-James mais comme son refuge. C’était une vaste pièce où flottait une vague odeur de formol; aux murs recouverts de planches anatomiques, de graphiques et d’étagères; au plancher ancien qui craquait; au plafond percé d’une lucarne à tabatière. Des tables éraflées le meublaient, ainsi qu’un assortiment de hauts tabourets, de microscopes, d’ordinateurs et de matériel permettant de tout analyser, du sang aux balles. » (Page 25)

Howenstow: « Enormes bâtisse de style Jacques Ier, Howenstow avait l’aspect d’un E bigarré, veuf de sa barre centrale. Une deuxième aile avait été érigée contre la barre ouest du bâtiment. Au nord-est se dressait une chapelle. Derrière la maison étaient groupés écuries et communs, et au-delà le parc de Howenstow s’étalait en direction de la mer. » (Page 70)

Paysages: « La région était sauvage, parsemée de landes désolées, de coteaux abrupts, de petites criques de sable fin agrémentées de grottes qui avaient longtemps servi de cachettes aux contrebandiers, de bois luxuriants dégringolant dans les vallons. » (Page 71)

Configuration particulière qui rend les recherches des enquêteurs très compliquées: « Les collines sont derrière. La mer devant. La côte est truffée de grottes. Il y a des mines condamnées. Un port plein de chalutiers. Bref, un nombre illimité de cachettes où planquer un couteau sans que personne le retrouve avant des dizaines d’années. » (Page 225)… »Il évoqua la côte de Cornouailles. Il savait sans l’ombre d’un doute que Lynley et ses hommes pouvaient examiner les moindres criques de Penzance à St. Yves, leurs recherches seraient aussi peu fructueuses que celles des officiers des douanes qui avaient patrouillé dans la même région pendant plus de deux cents ans. La côte recelait un nombre infini de grottes. Elle comportait une quantité ahurissante de criques. » (Page 261).

En conclusion:

Une Douce Vengeance constitue un épisode à part dans la série: d’une part parce que le sergent Barbara Havers, qui deviendra par la suite un des personnages principaux, ne fait qu’une courte apparition à la fin; d’autre part, parce que, pour les lecteurs qui auraient lu les trois premiers tomes, il apporte certaines réponses concernant les relations qui unissent Thomas, Simon, Deborah et, dans une moindre mesure, Lady Helen. Et parce que l’action se situe dans le domaine familial de Thomas Lynley, l’ambiance est particulière, plus feutrée, plus intime que dans les romans précédents.

C’est avec beaucoup de plaisir que je me suis plongée dans ses 432 pages sans jamais m’ennuyer; un peu comme lorsque l’on retrouve le confort d’un vieux fauteuil, ou un vêtement maintes fois porté dans lequel on se glisse avec délectation, ou lorsque l’on chausse nos pantoufles un peu avachies mais offrant un tel réconfort à nos pieds qui ont trop marché.

Citations:

« N’ayant jamais vu Lynley évoluer ailleurs que dans son cadre à elle, elle ne s’était pas posé la question de savoir ce qu’impliquerait le fait d’entrer dans une famille comme la sienne. Certes, elle savait qu’il était comte. Elle était montée dans sa Bentley, lui avait rendu visite dans son hôtel particulier de Londres, y avait même rencontré Denton, son domestique. Elle avait mangé dans ses assiettes en porcelaine, bu dans ses verres en cristal, l’avait vu passer ses vêtements coupés sur mesure. Mais elle avait attaché peu d’importance à ces détails, se bornant à se dire que cela faisait partie de la façon de vivre de Tommy, laquelle n’avait en rien modifié son mode de vie à elle. » (Page 70)

« A la suite de l’Austin, la Land Rover se traînait le long de l’étroit sentier. N’étaient les phares des véhicules et quelques rares fenêtres de cottage ou de ferme éclairées, l’obscurité était complète. L’absence de lumière s’ajoutant à la tempête ralentissait leur progression. La chaussée était inondée. Les haies s’inclinaient dangereusement vers la voiture. Les phares éclairaient crûment la pluie torrentielle. Faisant halte à deux reprises pour débarrasser la chaussée des branchages qui l’obstruaient, ils mirent cinquante minutes à parcourir un trajet qui leur aurait demandé un quart d’heure en temps normal. « (Page 134).

« Saint-James regarda par la vitre, cherchant une réponse appropriée. Il songeait à l’énergie que les gens sont prêts à dépenser pour éviter de regarder la réalité en face. Nombreux sont les êtres qui s’efforcent de s’étourdir et de  nier l’existence de la réalité pour s’apercevoir, à la onzième heure, qu’il n’existe en fait aucun moyen de lui échapper. Depuis combien de temps Lynley s’efforçait-il de se boucher les yeux? Depuis combien de temps lui-même en faisait autant? C’était devenu chez une habitude, presque ne seconde nature. Evitant soigneusement d’aborder les sujets importants, ils en étaient venus à adopter une conduite de fuite systématique. » (Page 295)

« Sa vie n’était qu’un mensonge reposant sur de nobles aphorismes dont il n’était pas dupe. Laisse-la partir. Laisse-la trouver sa voie. Laisse-la découvrir le monde, un monde aux vastes horizons, peuplé d’êtres capables de lui offrir les richesses qui te font si cruellement défaut. Laisse-la trouver une âme sœur avec laquelle partager tout cela, une âme sœur délivrée des entraves et des faiblesses qui empoisonnent ta vie…La peur le dominait. Elle le réduisait à l’impuissance. Ne voulant pas prendre le risque d’être rejeté, il avait choisi de ne pas choisir. De laisser passer le temps, de croire que les conflits, les difficultés, les problèmes se règleraient d’eux-mêmes au fil des jours. » (Pages 356-357).

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s