Publié dans Agitation politique, éditions La Martinière, Babelio, cadavre, crime, enquête criminelle, Passion polar, place des femmes

Passion polar: Un Long si Long après-midi, Inga Vesper.

1959. Un policier blanc enquête sur une meurtre aidé par une jeune bonne noire. Scénario séduisant habilement mis en scène par Inga Vesper…

L’auteur:

Inga Vesper est journaliste et écrivain, auteur de romans policiers. Elle a déménagé d’Allemagne au Royaume-Uni pour travailler comme aide-soignante, avant que l’envie d’écrire et d’explorer ne l’amène au journalisme scientifique. Elle est titulaire d’une maîtrise en gestion du changement climatique du Birkbeck College à Londres.

Inga a travaillé et vécu en Syrie et en Tanzanie, mais est toujours revenue à Londres, car il n’y a pas de meilleur endroit pour trouver une bonne histoire que le pont supérieur d’un bus. Elle vit à Glasgow.

Le roman:

Un long, si long après-midi, The Long, Long Afternoon dans la version originale parue en 2021, a été publié par les éditions La Martinière en 2022, que je remercie pour cette découverte. Le style d’Inga Vesper est un savoureux mélange d’écriture abrupte et de passe-partout: « Ruby enfile ses chaussons et essuie, range et passe la serpillière. La rue est calme. Une fois, seulement, une voiture passe et elle se crispe à l’idée du retour inéluctable de Mme Ingram. La maîtresse de maison, cependant, ne rentre qu’après 16 heures. Elle se plante devant la salle de bains, où Ruby a les bras plongés jusqu’aux coudes dans la cuvette des toilettes… » (Page 15)…Une écriture vive, alerte, rythmée: « Mike a un goût acide dans la bouche. Il peut seulement imaginer la scène. Le sang, les enfants qui crient, le sergent Hodge qui hurle. Nerveuse. Bon Dieu, il aurait secoué les barreaux de sa cage comme un singe enragé. » (Page 30)

Construction: chaque chapitre raconte l’histoire du point de vue de l’un des personnages: Joyce à la première personne, Ruby et Mick à la troisième personne, comme des témoins secondaires.

Fil rouge: la chaleur accablante, donnée à prendre en compte pour comprendre les méandres de l’enquête: « La chaleur lui écrabouille le cerveau. Il tire sur la fenêtre qui s’entrouvre en tremblant d’une dizaine de centimètres. Elle n’ira pas plus loin. Une brise timide et discrète comme une collégienne à son premier bal s’immisce dans la pièce. » (Page 103)… »La Buick n’est restée que dix minutes sur le parking, mais elle s’est déjà transformée en un portail pour l’enfer. Une chaleur surréelle s’en échappe quand il ouvre la portière. » (Page 141).

L’intrigue:

24 août 1959. Lorsque Ruby arrive chez les Haney en cette chaude après-midi de printemps, elle sent tout de suite que quelque chose ne tourne pas rond: « Les fenêtres sont ouvertes pour laisser entrer l’air, mais rien ne bouge derrière les rideaux. Aucun tintement de casserole, aucun cri d’enfant, aucun bavardage de radio dans le séjour. » (Page 17). Les enfants sont seuls. Dans la cuisine, du sang. Par terre. Et un chiffon froissé tout imbibé. La maîtresse de maison. Ruby arrêtée.

Le lendemain, l’enquête est confiée à Mick Blanke, fraîchement débarqué de New-York. Quand Joyce, la disparue, a confié ses enfants à sa voisine, Mme Ingram, elle avait l’air d’aller parfaitement bien. Dans la maison, rien n’a été déplacé, et il semble que rien ne manque. Mick observe que dans ce quartier paisible, il est impossible qu’une voiture inconnue s’approche d’une maison et qu’un étranger kidnappe son occupant sans que les voisins ne s’en aperçoivent.

Alors que s’est-il passé ce fameux après-midi? A qui appartient la voiture que Ruby a vue au moment où elle arrivait vers 17h15? Quels secrets dissimule la façade blanche de cette maison de ce quartier résidentiel? Problèmes de couple? Avec le voisinage? Surgi du passé? Cambriolage qui a mal tourné? Toutes les options sont ouvertes, ce qui rend la tâche de l’inspecteur Blanke plutôt ardue.

D’autant qu’il n’est pas dans son élément à Sunnylakes. Il a besoin de quelqu’un qui pourrait y évoluer discrètement, qui serait ses yeux et ses oreilles. C’est alors que germe dans son esprit l’idée d’employer Ruby Wright…

Les personnages:

  • Joyce Haney: jeune femme toujours joyeuse et gentille (d’après Ruby); diplômée en histoire de l’art, , très intelligente, douée pour le dessin.
  • Ruby Wright: femme de ménage noire; caractère bien trempé, déterminée à devenir enseignante malgré les obstacles; économise pour aller à l’université.
  • Mme Ingram: voisine des Haney, une des rares femmes du quartier à vivre seule et à travailler (à l’agence immobilière), veuve.
  • Mick Blanke: inspecteur de police pistonné.
  • Murphy: chef de Blanke qu’il n’apprécie pas.
  • Franck Haney: mari de Joyce.
  • Laura Kettering: autre voisine et amie de Joyce; épouse d’un producteur de cinéma.
  • Joseph: petit ami de Ruby, membre du Comité pour la Promotion de l’Homme Noir.
  • Geneviève Crane: directrice du Comité des Femmes pour le Progrès.
  • Deena Klintz: amie de Joyce.
  • Laureen Cannon: ancien professeur de Ruby.

Les lieux:

Tout l’intérêt du roman réside dans les contrastes entre le quartier résidentiel où vit la victime et le quartier pauvre dans lequel vit Ruby, d’abord suspecte, puis enquêtrice officieuse.

Maison des Haney: propriété luxueuse en retrait de la route descendant jusqu’au lac dont elle est séparée par une palissade, avec terrasse, piscine, pelouse impeccable, des bouquets de fleurs dans chaque pièce, plusieurs chambres, salle de bain.

Quartier de Sunnylakes: »Les rues sont si propres qu’on pourrait y dîner assis par terre, sauf que personne ne le ferait, bien sûr, car tout le monde ici possède une table et des assiettes de porcelaine commandées chez Wards. » (Pages 25-26)

Quartier de Ruby: « Une boutique Tout à 49 cents occupe le rez-de-chaussée avec ses vitrines bourrées de papier toilette rose, de paquets de lessive et de petites voitures bon marché. Un de ses murs est noirci comme après un récent incendie. Il manque quelques marches à l’escalier de la sortie de secours et sa peinture est toute écaillée. »(Page 142).

En conclusion:

Grâce à son talent pour brosser des portraits moraux réalistes, Inga Vesper permet au lecteur de s’intégrer dans l’univers de ses personnages; on s’attache particulièrement à Ruby, cette jeune femme qui, malgré qu’elle évolue dans un monde sans pitié pour les gens de couleur, veut s’en sortir et devenir enseignante. On salue son courage et sa détermination, mais on ne peut s’empêcher de compatir au destin de ses femmes blanches issues de la bourgeoisie, auxquelles on coupe les ailes de peur de les voir s’échapper de la seule case qu’il leur est permis d’occuper, à l’instar de Joyce qui n’est pas autorisée à devenir artiste peintre, malgré son talent. Finalement, chacune à sa manière est prisonnière de la société patriarcale et raciste des USA des années 1950. Un peu comme dans La Couleur des Sentiments, roman de Kathryn Stockett publié en 2009 dont l’action se déroule dans les années 1960 dans le Mississippi, considéré comme le plus dur à l’égard des populations noires.

Un Long, si Long Après-Midi, sous ses couleurs de roman policier, (ne nous y trompons pas, il y a une véritable enquête criminelle), se révèle un vibrant plaidoyer pour la liberté individuelle, le droit de chacun de disposer de sa vie comme il l’entend, qu’il soit femme, noir, blanc…

Un premier roman ciselé par la plume délicate et vive d’Inga Vesper, son humour discret et le ton parfois léger, qui se lit d’une traite. Car, tout de même, on aimerait savoir pourquoi Joyce a disparu en cette chaude après-midi d’août 1959.

Citations:

« Les femmes de Sunnylakes ne se rendent jamais compte qu’on se moque d’elles. La plupart d’entre elles sont tellement coincées qu’il est difficile de les imaginer en train de faire l’amour. » (Page 16)

« Je ne devrais pas peindre. Franck n’aime pas ça, bien que Geneviève Crane dise que j’ai un talent incroyable. C’est un mauvais exemple pour les enfants, une mère qui se fait plaisir, quand il y a des repas à prévoir, des tapis à aspirer et des bouquets de fleurs à arranger. » (Pages 67-68)

« Eh bien, je pensais que vous pourriez m’aider, parce que vous nous aidiez toujours tellement quand vous nous faisiez venir chez vous en retenue…C’était pour notre éducation, pas vrai? Pour nous apprendre à apprécier des trucs nouveaux. Pour nous stimuler. Pour qu’on regarde les choses autrement et qu’on se pose des questions…C’est pour ça que je veux devenir enseignante. -Pour changer le monde? -Ben…oui. » (Page 157)

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