Publié dans éditions Calmann-Lévy, cadavre, crime, Passion polar français

Passion polar français: L’Année du Gel, Agathe Portail.

Un bon polar à lire sur la plage, à l’ombre des cocotiers, ou dans votre jardin, à l’ombre du parasol. C’est selon…

 

Le roman:

L’Année du Gel a été publié par les éditions Calmann-Lévy en 2019 et par les éditions J’ai Lu en janvier 2022. Le style est vif, enlevé, plaisant à lire: « La gare déserte vibra à l’approche du train de 20h15. Le bitume du quai sentait fort et des plaques lisses plus foncées luisaient, comme si elles n’étaient pas encore sèches. Deux voies seulement se croisaient au centre de la gare. Une petite cahute couverte de tags maladroits faisait face au bâtiment qui abritait les guichets. » (Page 61)… »Il lui apparut que personne n’était entré dans la pièce où il retrouva les draps et la couverture poussés au pied du lit et les volets mi-clos. La panique commença à tracer un sillon au fond de son estomac. Il la sentait rouler comme un galet pris dans les remous de l’Allier. Il lui semblait que on angoisse ne cessait de s’étirer, de repousser les parois de son corps comme les pieds d’un bébé déforme le ventre de sa mère. » (Page 92). Le ton est léger, empreint d’humour: « Il leva les yeux sur la porte écaillée qui l’isolait visuellement du couloir. Phoniquement parlant, c’était une passoire. Que la porte soit ouverte ou fermée, il profitait du concert de jérémiades qui s’élevaient du guichet, du boucan de Géraldine Amblevert qui occupait le bureau d’à côté et qui avait le don de taper sur son clavier d’ordinateur comme une forcenée, tout comme des bruits de la chasse d’eau qui gargouillait toutes les dix minutes. » (Page 30).

Fil rouge: les effets de la chaleur accablante: ceux qui ne supportent pas et se liquéfient dès qu’ils mettent un pied dehors; ceux qui lézardent au mépris des coups de chaud; ceux qui fuient en restant à l’ombre le plus possible => »Le manque d’air et la déshydratation rendaient fou. » (Page 98).

L’intrigue:

Bernard Mazet, dans une tentative de sauver son domaine viticole mis à mal par un épisode de gel qui a dévasté ses vignes, se décide à ouvrir des chambres d’hôte. Une bande de copains trentenaires s’installe pour quelques jours de vacances bien mérités

Chaque matin, au chant du coq, Fabien, le boulanger du village, monte au domaine viticole du Haut Méac porter du pain frais. Ce matin du 5 juin ne fait pas exception. Tout se déroule comme d’habitude jusqu’au moment où, par curiosité, Fabien ouvre la chambre froide. Et là, c’est l’horreur: le cadavre d’une femme qu’il ne connaît pas gît.

Etant donné que la porte était fermée de l’extérieur, la thèse de l’accident ne tient pas la route. Mais qui a tué la douce et timide Clara? Un de ses amis? Mais pour quel motif? Un rapport avec sa situation de mère célibataire? Pourquoi ne pas avoir parlé de son fils à ses amis? A priori, la personnalité effacée de la victime ne donne pas matière à un crime…A moins qu’elle ne détienne un secret…

Les personnages:

Toutes une galerie de personnages principaux et secondaires anime L’Année du Gel, donnant parfois une impression de désordre savamment calculé, se croisant sur la scène comme au théâtre, chacun apportant sa contribution au récit.

  • Fabien Etcheverry: le boulanger.
  • Bernard Mazet: propriétaire du Haut Méac, ancien gendarme.
  • Colette Mazet: mère de Bernard.
  • Alexane Mazet: épouse de Bernard; acheteuse compulsive pour tromper son ennui.
  • Frédéric Lavergne: cousin d’Alexane.
  • Daphné Dambérailh: vieille fille fantasque, tante du major Dambérailh; a un avis sur tout et n’hésite pas à le donner.
  • Elise Ascaride: locataire de Daphné; jeune femme un peu fragile, renfermée.
  • Isabelle: femme de ménage de Daphné.
  • Major Géraud Dambérailh: neveu de Daphné; gendarme chargé de l’enquête.
  • Géraldine Amblevert: adjudante, collègue de Géraud.
  • Louis Frégé: gendarme.
  • Jean Péon: gendarme proche de la retraite; spécialiste de l’enquête de voisinage; toutes les mamies l’adorent.

Groupe des touristes:

  • Léonie Chastaigne: femme acariâtre et peu sympathique; enceinte.
  • Corentin Le Doussot: compagnon de Léonie; une bonne pâte; caractère doux.
  • Vincent Brun-Mareuil: ami d’enfance de Léonie; le séducteur de service, fuit toutes contraintes et contrariétés.
  • Olivia Delage: amoureuse de Vincent qu’elle laisse froid.
  • Juliette Hoareau: femme gaie et sympathique.
  • Pierre des Ombries: compagnon de Juliette; conduit comme un pied.
  • Clara Levasseur: la victime; mère célibataire; caractère très effacé; les gens aiment se confier à elle.

Les décors:

Maison de Daphné: ancienne abbaye, c’est une demeure pittoresque, presque autant que sa propriétaire: « La pierre brune de sa maison n’était pas celle typique de la région… L’abbaye détonnait dans ce paysage de vignes et de chais lumineux. Il n’en restait finalement que le cloître et les bâtiments annexes: cellier, dortoirs, salle capitulaire où les grands-parents de Daphné Dambérailh avaient installé leur salon. » (Pages 22-23).

Château du Haut Méac: propriété de la famille Mazet, dans un style pompeux totalement différent de celui de l’abbaye. Malgré son air imposant, des traces visibles du manque d’argent se font sentir: « Des pierres manquaient aux corniches, certaines tours semblaient édentées. Au deuxième étage, les volets intérieurs étaient fermés. La vigne vierge qui grimpait le long du mur avait été partiellement arrachée, emportant avec elle de larges éclats de pierre. » (Page 35)…Néanmoins, l’édifice jouit d’une position et d’une vue qui font oublier son état de délabrement: « Le château dominait de toute sa hauteur un vallon où les rangs de vigne dessinaient des lignes de fuite concurrentes. Des bosquets de frênes et de marronniers ponctuaient les angles des parcelles et offraient aux vaches bazadaises quelques îlots d’ombre. » (Page 42).

En conclusion:

L’Année du Gel offre un bon moment de lecture: le ton léger et les pointes d’humour dissimulent à peine la noirceur d’âme d’un tueur sans scrupules. Agathe Portail nous dresse le portrait d’un univers âpre, sans concession, où la passion du vin se heurte aux dures lois du marché. Des hommes et des femmes souvent prêts à tout pour sauver leur patrimoine, tant la concurrence se fait de plus en plus impitoyable. En plus, à aucun moment je n’ai soupçonné l’identité de l’assassin. Serez-vous plus perspicaces que moi??

Citations:

« -Pas de budget », répondit laconiquement le major. Il commençait à haïr ces trois mots qu’il prononçait plusieurs fois par jour et à tous propos. La machine à capsules ne fonctionnait plus. Pas de budget…Les ordinateurs portables. Pas de budget. Géraldine Amblevert et Louis Frégé partageaient une vieille bécane qui roulait sous un système d’exploitation obsolète. » (Page 33).

« Il connaissait chaque parcelle intimement. Ses spécificités, ses caprices, sa vulnérabilité aux attaques de mildiou. Il savait tout, sur chacune d’elles. Il sentait les rameaux ployer sous la brûlure injuste du gel. Il sentait la sève ralentir sa circulation dans les jeunes pousses, puis se retirer lorsqu’elle le pouvait encore, engourdie, au plus près du cœur battant d’un pied de vigne qu’elle ne parvenait plus à parcourir. » (Page 67).

« Colette Mazet posa devant elle une part généreuse et retourna vers la maison avec un soupir lorsque la sonnerie du téléphone fixe retentit. C’était un bruit qu’Elise avait pris en affection. Il lui semblait qu’une bonne vieille sonnerie, celle qui vrillait les tympans comme il se devait, portait en elle la joie d’imaginer un interlocuteur assis dans son salon, tenu au bout du fil et forcé à l’immobilité pendant toute la durée de la conversation.  » (Page 152).

Un commentaire sur « Passion polar français: L’Année du Gel, Agathe Portail. »

Laisser un commentaire