Publié dans cadavre, crime, disparition inexpliquée, enquête criminelle, Passion polar nordique

Passion polar scandinave: L’énigme de Flatey, Viktor Arnar Ingolfsson.

Un ambitieux roman construit autour d’un recueil d’anciennes sagas. Passionnant…

L’auteur:

OIPViktor Arnar Ingolfsson, né le 12 avril 1955 à Akureyri, important port maritime situé au nord de l’île, est un auteur islandais de romans policiers. Il est diplômé en génie civil et a suivi des cours de rédaction de scénario à l’université d’Islande de Reykjavik ainsi que des cours de relations publiques à l’université de Washington. Il poursuit deux carrières parallèles: depuis 1985, il supervise les publications de l’administration des transports d’Islande et, depuis 1978, a écrit six romans policiers, dont un seulement a été traduit en français.

Le roman: 

L’énigme de Flatey, Flateyjargáta dans la version originale parue en 2003, a été publié en 2013 par les éditions du Seuil dans la collection Policiers. L’auteur prend le temps de situer les décors et de détailler les actions dans un style fluide et agréable à lire: « Le trajet comportait des montées, mais cela n’était pas un inconvénient car le transport était aisé. Pormodur Krakur était à l’évidence bien bâti et n’avait aucun mal à tirer la voiture à lui tout seul. Les autres ne poussaient que pour la forme. Ils marchaient à pas lent, dignement, et les roues de la voiture crissaient légèrement au rythme de leurs pas. Il n’y avait pas à aller bien loin, mais Kjartan trouva qu’ils mettaient un temps infini à parvenir à destination. Pormodur Krakur ouvrit la porte de l’église avec une grande clé et le cercueil fut porté à l’intérieur. Au milieu, on avait disposé deux tabourets sur lesquels ils le déposèrent. » (Page 54).

Construction: Chaque partie représente un jour d’enquête; les chapitres, assez courts, se terminent par un passage en italique, extraits du Livre de Flatey et des études menées sur cet ouvrage.

Fil rouge: le Livre de Flatey, compilation d’anciennes sagas rédigée dans le courant du XIVe siècle par un grand propriétaire terrien du nom de Jon Hakonarson, sans doute achevée vers 1394, selon les annales qui figurent à la fin du livre.

L’intrigue:

1960. Des pêcheurs découvrent un corps pratiquement à l’état de squelette dans les rochers d’un îlot isolé au large de Flatey,  petite île islandaise située dans la baie de Breidafjordur, large fjord situé sur la côte ouest. Le jeune Kjartan, stagiaire chez le préfet dont dépend l’îlot, est envoyé sur place pour récupérer le corps et s’occuper de son acheminement vers Reykjavik, et rédiger un rapport.

Après avoir établi que le corps est celui d’un universitaire danois, spécialiste des sagas nordiques, reste à déterminer ce qu’il était venu faire en Islande, particulièrement sur ce rocher perdu en pleine mer. Sa venue avait-elle un rapport avec le Livre de Flatey et la polémique, alors virulente, autour de la question de sa restitution par les Danois à la nation islandaise, d’où le livre était originaire? Ou était-il venu résoudre l’énigme de Flatey, sorte de mots croisés à déchiffrer à partir d’un code qui sert à vérifier la résolution correcte?

Comment le corps a-t-il pu s’échouer dans les rochers, sur l’île de Kétilsey, très à l’écart des trajectoires des bateaux naviguant dans ces parages? Etait-il mort à ce moment-là? A-t-il été victime d’un naufrage, d’un accident ou d’un meurtre? S’il était vivant, comment a-t-il pu survivre sur ce rocher inhospitalier, inhabité, loin de l’itinéraire du ferry reliant les îles à la côte? Après le meurtre sauvage de Bringeir, journaliste venu mener sa propre enquête, l’affaire est confiée à la police de Reykjavik.

Les personnages:

Toute une galerie de personnages hauts en couleur, membres d’une communauté d’hommes et de femmes vivant quasiment en cercle fermé sur une petite île au large de l’Islande, se côtoyant chaque jour, chacun remplissant une fonction particulière. Cette configuration me fait penser aux films de Pagnol dont chaque personnage, à la personnalité marquée, joue un rôle dans le village.

  • Grimur Einarsson: bourgmestre de Flatey.
  • Ingibjorg: épouse de Grimur, femme astucieuse et agréable.
  • Hogni: instituteur de l’école primaire de Flatey.
  • Johanna: médecin de l’archipel, se déplace avec son propre bateau; gentille et drôle.
  • Révérend Hannes: pasteur de Flatey.
  • Pormodur Krakur: sacristain; superstitieux, possède le don de double vue.
  • Valdi: paysan-pêcheur.
  • Nonni: fils de Valdi; a découvert le corps.
  • Bryngeir: journaliste, poète et écrivain; enquête sur le corps mystérieux et sur l’énigme de Flatey.
  • Kjartan: sous-préfet de Patreksfjordur; diplômé en droit dans le secteur du droit commercial, stagiaire chez le préfet; très timide, facilement déstabilisé et déprimé.
  • Professeur Lund Gaston: universitaire danois, membre de l’Académie des Sciences de Copenhague; célibataire, un peu excentrique.
  • Dagbjartur Arnason: inspecteur à la Criminelle de Reykjavik; paresseux, lent à la détente, mais patient et bienveillant, apte à rechercher des informations difficilement accessibles.
  • Porolfur: policier de Reykjavik.

Les lieux:

La configuration particulière des lieux confère à cette enquête son côté inédit: mener des investigations sur une île mesurant seulement 0,5 km2, desservie une fois par semaine par le bateau postal, seul à assurer la liaison avec le continent, sont loin de constituer des conditions idéales,  notamment pour le rapatriement du corps qui en attendant doit être stocké au mieux. Car pas de morgue sur l’île…Communications aléatoires, île coupée du monde en cas de tempête.

Flatey: située dans le Breidafjordur, large fjord comprenant entre 2000 et 3000 îles et îlots, dont très peu sont habités (de nos jours, Flatey, la seule île habitée toute l’année, compte cinq habitants). Les conditions de vie y sont spartiates et entièrement dépendantes des ressources de la mer. La population, vieillissante, diminue d’année en année. Un entrepôt, une cabine téléphonique, une église, un cimetière…On en a presque fait le tour. On pourrait croire que les conditions d’investigations en sont facilitée, mais ce n’est pas le cas, car tout le monde ou presque possède un bateau qui permet d’atteindre un des innombrables îlots où l’on peut se cacher.

En conclusion:

L’originalité du roman est que son intrigue est basée sur l’énigme posée par le Flateyjarbok, un manuscrit islandais rédigé de 1387 à 1394, et la compétition qui fit rage. Très richement décoré, il réunit un grand nombre de sagas, royales pour la plupart, intégrant des poèmes scaldiques, des poèmes eddiques ainsi que de courts textes historiques. Certaines de ces oeuvres ne figurent dans aucun autre ouvrage. D’où son importance. L’Islande étant sous domination danoise, le manuscrit fut envoyé au roi Frédéric III en 1656 par l’évêque Sveinsson, ainsi que le voulait la coutume. Il fut officiellement restitué à l’Islande le 21 avril 1971. L’auteur a construit son intrigue autour de l’énigme élaborée par un étudiant danois qui concocta un jeu de devinettes à partir des nombreux personnages y figurant: « Il présenta alors une liste de quarante questions dont la dernière était le code qui validait les réponses justes à toutes les autres. Ce code comportait de surcroît un poème inachevé et la solution devait servir à élucider la fin de ce poème, c’est-à-dire les deux derniers vers. » (Page 168). Une compétition féroce s’ensuivit, d’autant que personne ne parvint à élucider l’énigme. Est-ce la raison de la venue de Gaston Lund en Islande??

L’intrigue de ce roman original et passionnant se déroule à une cadence lente, au rythme des occupations et des activités des habitants de l’île, endormant le lecteur dans une fausse torpeur, jusqu’au rebondissement final qui, d’un seul coup, accélère les événements. Sans oublier que, l’histoire se déroulant en 1960, les procédures policières étaient bien différentes de celles usitées de nos jours.

Citations:

« Il ne serait certainement pas aisé d’en découvrir le nombre exact, dit-il, et d’abord, il faudrait définir ce qu’on appelle une île. Si l’on prétend qu’une île est une terre entourée par la mer qui est soumise aux marées et sur laquelle pousse de la végétation, on pourra peut-être les dénombrer. C’est ainsi qu’on a pu compter plus de trois mille îles dans tout le fjord. » (Page 30).

« Nous pouvons rédiger une note au sujet de cet homme et décrire la façon dont il était habillé. Ensuite, nous afficherons ce papier à la coopérative. Peut-être que quelqu’un viendra se présenter. Nous pouvons aussi nous adresser aux gens des îles de l’intérieur en utilisant la station de radio pour savoir si des paysans n’auraient pas remarqué un tel voyageur. » (Page 65).

« Les voyageurs étaient en habits de semaine pour cette traversée, mais ils avaient dans leurs valises les tenues qu’ils mettraient à l’église. Ils avaient aussi des provisions dans des boîtes en fer-blanc et des thermos de café. Les gens débarquaient au quai d’Eyjolfur et disparaissaient dans les maisons de leurs amis et parents pour bientôt reparaître endimanchés dans le bourg. Certains frappaient discrètement à la fenêtre d’Asmundur, le marchand, et il les faisait entrer dans sa boutique par la porte de derrière sur la façade est. Le magasin était évidemment fermé les jours fériés où se déroulaient les offices, mais il fallait bien dépanner les gens qui avaient besoin de quelque chose. C’est qu’on était dans un village commerçant. » (Page 194).

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