Publié dans affaire non résolue, Angleterre, éditions l'Archipel, crime, disparition inexpliquée, enquête criminelle, Passion polar

Passion polar: Portée Disparue, Colin Dexter.

Une enquête de l’inspecteur Morse dans laquelle il doit enquêter sur la disparition mystérieuse d’une jeune femme, qui « réapparaît » deux ans après…

L’auteur:

Norman Colin Dexter, né le 29 septembre 1930 à Stamford, dans le comté du Lincolshire, est un romancier anglais auteur de romans policiers sous son nom de plume Colin Dexter. Il a fait ses études supérieures au Christ’s College de l’université de Cambridge. Il en sort diplômé en 1953. Dès lors, il enseigne le latin et le grec dans divers établissements des Midlands. Mais diminué par des problèmes de surdité, il travaille au Centre des examens de l’université d’Oxford où il s’installe définitivement.

Colin Dexter, tout comme son personnage fétiche l’inspecteur Morse, est un grand mélomane ainsi qu’un buveur de bière convaincu. Il est également passionnément attaché à sa ville d’adoption dans laquelle se déroulent les intrigues de sa série de romans policiers consacrés aux enquêtes de l’inspecteur Morse. Selon Claude Mesplède, grand spécialiste des littératures policières, Colin Dexter est un des représentants du « nouveau roman anglais », un hybride de whodunit assaisonné d’un soupçon de procédure policière et d’une once d’analyse psychologique.

Le roman:

Portée Disparue, Last Seen Wearing dans la version originale parue en 1976, a été publié en 1996 par les éditions 10/18 dans la collection Grands Détectives, puis en 2020 par les éditions L’Archipel dans la collection Archipoche. C’est le second tome de la série consacrée aux enquêtes de l’inspecteur Morse. Le style de Colin Dexter se caractérise par une écriture soignée, parfois un peu pesante, pas toujours aisée à suivre, laissant toutefois la place à un style plus décontracté: « Il regarda avec dédain les matières ( ou plutôt des sous-matières, selon lui) qui monopolisaient à présent les programmes des études secondaires. A son avis, « environnement » n’était qu’un euphémisme pour des visites occasionnelles d’usines de gaz, de la caserne des pompiers ou des égouts. Pour la sociologie et les sociologues, il n’avait que mépris et ne découvrirait jamais ce que couvrait ce sujet ni comment ses praticiens déployaient leurs talents douteux. Avec une telle pléthore de non-sujets dans les emplois du temps, il n’y avait plus de place pour les matières traditionnelles enseignées de son temps. » (Page 68)… »Baines parut plutôt amusé. Il aurait pu donner quelques tuyaux aux filles et aux garçons pour sécher le cours de gym! Ca oui. Mais c’était la faute du personnel enseignant. Les profs de gym n’étaient qu’une bande de paresseux, pires que les gosses. La plupart ne se donnaient même pas la peine de se changer. » (Page 116).

Le rythme, assez lent, caractéristique des whodunit, se déploie entre les passages de réflexion personnelles ou en lien avec l’enquête de l’inspecteur Morse, les investigations de Lewis peu détaillées, ainsi que des anecdotes et des digressions pas toujours en rapport direct avec l’affaire en cours. Assez déroutant pour le lecteur qui se demande où l’auteur veut en venir.

Humour: une des caractéristiques de l’écriture de Colin Dexter est le comique de situation dont il parsème ses romans, comme la scène dans laquelle un gros homme, assis à côté de Morse venu écouter la Walkyrie, retire sa veste dans le théâtre, générant ainsi des nuisances sonores pas du tout du goût de l’inspecteur =>M’a fait penser au sketch de Mister Bean quand il tente d’enlever l’emballage d’un bonbon coincé dans sa poche.

Fil rouge: les bières et les whiskies ingurgités par Morse et ses fantasmes érotiques.

Thème: disparition inexpliquée.

L’intrigue:

Deux ans, trois mois et deux jours après la disparition inexpliquée d’une jeune fille, Morse est chargé de reprendre l’enquête que son collègue, l’excellent policier Ainley n’avait pu résoudre. « Les cours reprenaient en général à 13h45. Valérie partait en général à 13h25. C’est ce qu’elle fit le 10 juin. Tout allait bien en cet après-midi sans nuage. Valérie emprunta la petite allée puis tourna en direction du lycée en faisant un signe de la main à sa mère. Elle ne l’a plus jamais revue. » (Page 46).

Bien qu’aucun corps ne fut jamais retrouvé, Ainley, qu’inquiétaient certains aspects de l’affaire, considérait qu’on pouvait vraisemblablement penser que Valérie était morte. Mais lorsque les parents de Valérie reçoivent un billet de la jeune fille les informant qu’elle va bien et qu’ils ne doivent pas s’inquiéter, le superintendant Strange décide de rouvrir l’enquête.

A noter qu’Ainley est décédé la veille de l’envoi de la lettre adressée aux parents de Valérie dans un accident de la route alors que justement il rentrait de Londres. Coïncidence?

Mais au cours du week-end suivant, une série d’incendies criminels perpétrés dans des boîtes de nuit et des cinémas met la police sur les dents. « Toutes les huiles de la police, y compris lui-même, avaient été réunies d’urgence. Il fallait impérativement mobiliser tout le personnel disponible. Tous les suspects connus, des républicains irlandais aux anarchistes internationaux, devaient être interpellés et interrogés. Le chef de la police voulait des résultats rapides. » (Page 39).

C’est dans ce contexte difficile que Morse et son sergent Lewis se rendent à Londres dans l’espoir de retrouver la piste de la jeune disparue.

Les personnages:

  • Morse: inspecteur de police hypocondriaque,  célibataire; mal élevé, parfois sans gêne, souvent brusque et impoli, irascible, lunatique; boit beaucoup; célibataire, mélomane passionné d’opéra, adore les mots croisés; a une façon bien peu orthodoxe de mener ses enquêtes.
  • Sergent Lewis: policier rattaché au commissariat de Thames Valley; homme simple mais pas idiot, loyal, honnête et intègre; souvent intrigué par les frasques et les sautes d’humeur de Morse; marié.
  • Superintendant Strange: chef de la police.
  • Valérie Taylor: jeune fille disparue.
  • Eileen Ainley: veuve du divisionnaire en charge de la première enquête menée sur la disparition de Valérie.
  • Mr Baines: proviseur adjoint du lycée Roger Bacon à Kidlington; célibataire, mathématicien.
  • David Acum: ancien professeur de français du lycée Roger Bacon.
  • Donald Philipson: principal du lycée Roger Bacon; historien; ne s’inquiète pas facilement.
  • George Taylor: beau-père de Valérie; pas très intelligent mais honnête et sympathique.

Les lieux:

L’auteur distille de nombreuses indications de lieux au fur et à mesure des déplacements de Morse et Lewis: « Au rond-point de Woodstock, sur la rocade d’Oxford, Morse s’engagea sur la gauche. Laissant un motel sur la droite, il franchit le pont qui enjambait la voie ferrée, d’où, étant enfant, il avait si souvent regardé en rêvant les locomotives à vapeur. Puis il descendit vers Wolvercote. » (Page 27).

Oxford: « Depuis Carfax (au centre d’Oxford), Queen Street part vers l’ouest et change très vite de nom pour devenir Park End Street. Puis, à gauche, juste en face de la gare ferroviaire, se trouve Kempis Street, bordée de maisons calmement sénescentes. Il est 9h05 quand s’ouvre la porte de l’une d’entre elles. » (Page 127).

Lycée Roger Bacon: « Aussi discrètement que possible, il pénètre l’amalgame croissant de dépendances, permanentes et temporaires, où les élèves du secondaire sont initiés aux mystères des sciences et humanités. Il jette des coups d’œil furtifs aux alentours, mais il n’y a personne en vue. Puis il observe le bitume noir du terrain de sport et le récent bâtiment administratif de deux étages, au toit plat, en briques jaunes. » (Page 126).

Ambiance de pub: « Il se rendit au pub à pied et se fraya un chemin dans la foule vers le bar. La fumée de cigarette flottait en nuages bleutés au-dessus des têtes comme une brume matinale et persistante. Au bar et autour des tables grondait le vacarme rauque et incessant des conversations…Jeux de cartes, dominos, fléchettes. Toutes les surfaces disponibles étaient couvertes de verres, de chopes à poignées, de verres sans anse, de verres vides, de verres à moitié vides et de verres sur le point d’être vides puis aussitôt remplis du superbe liquide ambré. Morse parvint à se frayer un chemin jusqu’au bar et longea en avant. » (Pages 176-177).

En conclusion:

Une délicieuse et authentique ambiance « seventies » pour ce second opus des enquêtes de Morse. Les lieux, les personnages, tout concourt à nous ramener des décennies en arrière, pour ceux qui ont connu cette époque; pour les autres, il n’y aura qu’à évoquer les tourne-disques, le receveur du bus qui actionne le tourniquet pour valider les billets, les gens qui fument dans le pub. Toute une époque révolue où l’ADN et les méthodes scientifiques modernes n’avaient pas encore pris leur place.

Un roman agréable dans lequel Colin Dexter confirme son talent à créer un univers qui lui est propre dans le monde du polar. La preuve en est le succès de la série télévisée adaptée de ses romans, mettant en scène un inspecteur loin des codes habituels du genre. Un moment de lecture agréable et divertissant.

Citations:

« Quand Morse revint à son bureau à 17h30, Lewis était déjà rentré chez lui. Peut-être était-il plus sage d’en faire autant? Le policier possédait à présent de nombreuses pièces du puzzle. Certaines étaient grosses et laides et semblaient ne pouvoir s’emboîter nulle part. Mais elles finiraient par trouver leur place, pour peu que Morse ait le temps d’y réfléchir. Pour l’instant, il s’en tirait trop bien. Certains arbres lui apparaissaient assez clairement, mais pas encore les contours de la forêt. ce qu’il fallait, c’était prendre un peu de recul. » (Page 111).

« Le responsable des études, dans l’esprit duquel traînaient encore les vers de Racine, affirma sur un ton évangélique le besoin essentiel d’un strict respect de la grammaire dans l’enseignement des langues vivantes. Si Racine et Molière ne valaient pas la peine d’être lus avec précision, en excluant donc tout risque de mauvaise interprétation due à une traduction erronée, alors autant oublier la littérature et la vie elle-même. » (Page 149).

« Le démon du jeu est universel. Il est si profondément ancré dans la nature humaine que, depuis la nuit des temps, philosophes et moralistes sont partis du principe qu’il était maléfique. Les Romains appelaient cupiditas le désir des choses de ce monde, l’avidité nue et éhontée. C’est là que réside peut-être l’origine de tous nos problèmes. Mais comme il est, encore aujourd’hui, facile de comprendre l’envie féroce que ressentent ceux qui ne possèdent pas grand-chose envers ceux qui ont tout! Et le jeu? Eh bien, le jeu offre aux pauvres une lueur d’espoir d’obtenir quelque chose pour rien. » (Page 173)

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