Publié dans Agitation politique, attentats terroristes, éditions De Borée, cadavre, corruption, crime, enquête criminelle, manipulation politique, Passion polar historique

Passion polar historique: Les Noyés des Bords de Marne, Philippe Grandcoing.

Quand un historien chevronné se double d’un romancier talentueux, le résultat ne peut être que captivant…

L’auteur:

Philippe Grandcoing est un historien et romancier français né le 6 novembre 1968 à Limoges où il a fait ses études jusqu’à l’âge de vingt ans, avant de rejoindre la capitale pour y achever ses études d’histoire. Ce goût prononcé pour cette discipline lui vient de sa famille « où les traces du passé étaient très présentes où on sentait toute l’épaisseur du temps ». Il obtient l’agrégation d’histoire après avoir soutenu une thèse, à l’université Panthéon-Sorbonne, sous la direction d’Alain Corbin, historien français grand spécialiste du 19e siècle, intitulée Les Demeures de la distinction: le phénomène châtelain dans le département de la Haute-Vienne au XIXe siècle. Depuis 1999, il enseigne l’histoire aux classes préparatoires littéraires du lycée Gay-Lussac de Limoges, tout en continuant ses recherches avec une prédilection pour tout ce qui a trait à la justice et aux affaires criminelles.

Le roman:

Les Noyés des Bords de Marne, sixième enquête d’Hippolyte Salvignac, a été publié par les éditions De Borée en 2023. Le style de l’auteur est riche, soigné, enlevé, un véritable plaisir pour les lecteurs exigeants: « C’était une aquarelle qu’il avait récemment acquise. Elle représentait le port de La Vallette sur l’île de Malte. Au premier plan, une goélette, toutes voiles dehors, sortait de la rade cernée par les hautes murailles ocre. Il aimait particulièrement cette vue aux couleurs chaudes, comme une promesse d’Orient, alors que l’île était toujours restée un avant-poste de la chrétienté ancrée en Méditerranée. » (Page 11)… »Pas d’esclandre chez Mme Madeleine, telle aurait pu être la nouvelle devise de la maison. Un fermier en fit l’amère expérience. Ayant trop forcé sur le cidre et autres boissons fermentées ou non, il s’était étalé de tout son long sur la piste de danse improvisée après avoir voulu montrer comment on dansait le cancan dans les cabarets parisiens. » (Page 163).

Fil rouge: nombreuses allusions aux enquêtes précédentes, intégrées dans le récit auquel elles donnent de l’épaisseur, soit sous forme de souvenirs, soit sur présentation d’un personnage y ayant joué un rôle, soit par des précisions d’Hippolyte concernant le démantèlement d’un réseau de trafiquants d’art, établissant des liens directs avec son enquête en cours.

L’intrigue:

Printemps 1911. A cours du départ de la course aérienne Paris-Madrid organisée par Le Petit Parisien, un avion s’écrase, tuant le ministre de la guerre Maurice Berteaux. Accident d’autant plus tragique qui s’inscrit dans une crise diplomatique qui oppose la France à l’Allemagne sur la question marocaine.

Néanmoins, il semble que les choses ne soient pas si simples et que « l’accident » qui a tué le ministre ne soit qu’un attentat déguisé, ayant pour cible le gouvernement français. C’est en tout cas l’opinion de Clémenceau. L’enquête en cours n’avait décelé aucune trace de sabotage et le pilote avait été mis hors de cause.

Pourtant, l’enjeu est de taille: l’aviation comme future arme de guerre, qui éviterait à la France d’être dominée dans les airs si un conflit éclatait. Evidence que ne partagent pas tous les membres de l’Etat-Major. S’agirait-il d’une vaste opération de déstabilisation de l’armée française orchestrée par l’Allemagne?

Conséquence politique de la mort de Berteaux, qui constituait l’un des piliers du gouvernement Monis, avec Joseph Caillaux, est de savoir qui serait à même de le remplacer efficacement, dans ce contexte explosif?

Clémenceau, isolé depuis la chute de son gouvernement, demande à Salvignac de convaincre Jules, chargé de l’enquête visant à déterminer si l’accident pouvait être un attentat, de travailler pour lui. c’est-à-dire de jouer les espions au sein de la sûreté. Mais Jules, d’emblée peu enclin à satisfaire les exigences du Tigre, est sur la sellette depuis qu’il a été pris en flagrant délit d’une enquête privée, ayant entraîné la mort de l’homme qu’il filait.

Sur ces entrefaites, madame Luzzati signale à Hippolyte la mystérieuse disparition de son mari, un antiquaire spécialisé dans les tapis orientaux. Pourquoi le vieil homme avait-il désigné Salvignac comme possible recours en cas de malheur? Quelles menaces pesaient sur lui? Luzzati aurait-il été victime d’un crime crapuleux en rapport avec son commerce d’antiquités? Avec la disparition de son commis, le lendemain.
C’est alors qu’un cadavre sans tête est retrouvé dans une malle en osier à moitié immergée dans la Marne, non loin du château de Vincennes…

En conclusion:

Une intrigue policière fictive si bien ancrée dans la réalité historique que l’on oublierait presque qu’il ne s’agit, justement, que d’une fiction. En partant d’un événement réel, le tragique départ de la course aérienne Paris-Madrid du 21 mai 1911, Philippe Grandcoing imagine un roman policier intelligent et ambitieux, dans lequel il analyse les rivalités politiques, les enjeux militaires et les antagonismes au sein de la police. Eléments qui tissent la trame de l’enquête menée par Hippolyte Salvignac et son ami Jules Lerouet et lui donnent la dimension, la profondeur et la richesse qui font les œuvres littéraires appelées à marquer leur génération.

Les Noyés des Bords de Marne propose une fine analyse de la société de l’époque, ce qui anime les foules, fait rêver les gens, stimule les écrivains et les journalistes, sans oublier l’approche politique et sociale. Se plonger dans une passionnante enquête criminelle tout en s’instruisant, voilà le défi que Philippe Grandcoing relève haut la main à chacune des aventures d’Hippolyte Salvignac, son sympathique antiquaire, de son ami policier, Jules Lerouet, sans oublier Léopoldine, sa délicieuse compagne artiste peintre. Un enrichissant divertissement de qualité, tant dans sa conception que dans son expression …

Citations:

« Berteaux a toujours cherché à concilier les grands principes républicains et l’efficacité de notre outil militaire. D’aucuns pensent que notre régime conduit inexorablement à un affaissement moral de la nation, soi-disant parce que la démocratie véhiculerait des idées incompatibles avec l’ordre, la discipline, la hiérarchie, l’esprit de sacrifice dont auraient besoin nos armées. Ce sont des imbéciles. Napoléon III avait instauré une dictature. Son armée s’est fait battre à plate couture en 1870! » (Page 22)

« Jules Verne faisait rêver parce qu’il inventait des machines merveilleuses et faisait reculer les frontières du monde connu. Aujourd’hui, l’homme blanc a tout exploré, tout, jusqu’aux pôles. Il n’y a plus grand chose à découvrir sur notre bonne vieille Terre. Maîtriser de nouvelles techniques, aller de plus en plus vite, de plus en plus loin, de plus en plus haut, voilà désormais à quoi aspire l’homme du XXe siècle. Ce n’est plus la nature qui est son adversaire, mais lui-même ou ses congénères. » (Page 24)

« Il avait beau essayer de se contrôler, chaque fois c’était la même chose, il se laissait envahir par un immense sentiment de jalousie. Non qu’il craignît une infidélité de la part de Léopoldine, mais parce qu’il sentait qu’il y avait entre ces deux-là une complicité intellectuelle qu’il ne connaîtrait jamais avec sa compagne. » (Page 144)

« Malheureusement, les traces laissées sur la tapisserie n’étaient pas assez nettes pour qu’une comparaison des dermatoglyphes soit possible. Il avait donc demandé que l’on analyse le sang retrouvé sur place. Depuis quelques temps, des savants avaient mis en évidence qu’il existait chez l’homme plusieurs groupes sanguins. A la différence des empreintes digitales, un même groupe sanguin ne constituait pas une preuve recevable, puisque des millions de personnes appartenaient au même groupe…La police rechignait donc à procéder à de telles analyses au regard de leurs piètres résultats. » (Pages 245-246)

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