Publié dans angoisse, Paris, Passion thriller, suspense

Passion thriller: Quelque part avant l’enfer, Niko Tackian.

Un premier roman au rythme endiablé, confirmé depuis par d’autres thrillers haletants comme Niko Takian sait si bien les concocter…

L’auteur:

Niko Tackian est un scénariste, réalisateur et romancier français, né le 5 avril 1973 à Paris. Il a réalisé plus de trente albums dans lesquels il aime explorer différents genre telle que science-fiction, dark fantasy, policier, fantastique. Il a également réalisé de nombreux téléfilms.Il a commencé une carrière d’écrivain de thrillers en 2015 avec Quelque part avant l’enfer. Interview exclusiveniko tackian

Le roman:

Quelque part avant l’enfer, premier roman de l’auteur, a été publié en 2015 par les éditions Scrineo. Il a obtenu le prix 2015 des bibliothèques et des médiathèques de Grand Cognac.

Le roman est construit autour de chapitres nombreux mais assez courts ou très courts, ce qui donne au récit un rythme soutenu qui entraîne le lecteur dans une spirale ascendante jusqu’à l’explosion finale. Certains d’entre eux commencent par un extrait de témoignages de patients du professeur Roody, donnant au roman un air d’authenticité, presque de livre-témoin. Résultat: le lecteur vit l’histoire d’Anna avec une intensité accrue, comme lorsque l’on lit un article de revue ou un compte-rendu…Se laissant peu à peu happer par l’enchaînement des événements, tournant les pages fébrilement pour savoir et comprendre…

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Le style est très direct, parfois incisif et froid, parfois empreint de chaleur et de tendresse, avec des phrases courtes, un vocabulaire facile à comprendre, de nombreux dialogues. Le ton traduit une lucidité sans illusion face à la nature humaine, ce qui n’empêche nullement une certaine empathie de montrer le bout de son nez à des moments parfois surprenants. C’est ce mélange qui donne aux romans de Tackian leur force et leur pouvoir attractif.

Les thèmes évoqués sont  certains côtés sombres de notre société: le sort réservé aux SDF et la détresse humaine, le trafic de femmes comme objets de plaisir, le mal qui rôde: « Zed se demandait ce qui pouvait se passer ensuite pour que le mal puisse s’insinuer aussi facilement dans l’âme des hommes et les transformer en criminels. » (Page 154). Mais le sujet principal de ce roman, ce qui en fait son originalité, est l’évocation du fonctionnement du cerveau, notamment les EMI, expérience de mort imminente.emi 1

L’intrigue: 

Décembre. Quelques jours avant Noël. Dans les bois de Vincennes, Casquette, sdf depuis de nombreuses années, et son chien Virgile découvrent le cadavre d’une femme étranglée et énucléée.

Anne Renucci, victime d’un grave accident de la route, est maintenue dans un coma artificiel pendant deux semaines. A son retour chez elle, Anna éprouve de nombreuses difficultés à retrouver une vie normale: elle a des hallucinations, elle entend une musique, une petite voix intérieure, mais surtout elle a de nettes visions de meurtres bien réels, comme si elle vivait dans un rêve éveillé.

Pendant ce temps, le capitaine de police Azad Pakazian mène une enquête sur un serial killer qui, depuis six mois, tuent de jeunes prostituées en les étranglant puis en les énucléant. « Quatre filles, toutes des prostituées, habituées des boulevards parisiens, avaient été abordées, accompagnées dans un endroit reculé avant d’être étranglées et énucléées avec une lame. Aucun rapport sexuel, aucun marqueur biologique sur les corps, le tueur ne semblait pas associer sa pulsion morbide à une sexualité active. » (Page 140).

Curieusement, tout semble tourner autour d’Anna: elle se sent comme observée, suivie même; à plusieurs reprises, elle échappe de peu à la mort; l’assassin a même réussi à pénétrer dans son appartement la nuit…Mais pourquoi elle? « Pourquoi le tueur s’intéressait-il à une simple mère de famille? Il a un lien avec elle…C’est la raison la plus évidente et certainement la bonne. Elle devait même le connaître. Mais alors, pourquoi vouloir la tuer maintenant? Et de manière aussi complexe? » (Page 198)… »Cette femme était au centre de la mécanique criminelle et du parcours sanglant du tueur. Il était allé jusqu’à essayer de la tuer, elle avait donc, elle aussi, un rôle à jouer dans son scénario. » (Page 221).

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Enfer

Les personnages:

  • Casquette: sdf, ancien infirmier; a établi son « campement » dans les bois de Vincennes; vit avec son chien Virgile.
  • Anna Renucci: cheveux noir ébène, teint pâle; silhouette mince; a toujours su maîtriser sa nature bouillonnante pour donner l’image d’une femme dynamique et souriante, toujours prête à écouter les autres, à se mettre à leur place; bibliothécaire à la bibliothèque Forney; est née et a passé son enfance à Amsterdam jusqu’au divorce de ses parents à l’âge de 7 ans; après le suicide de sa mère trois ans plus tard, a vécu chez sa tante à Paris.
  • Alain Renucci: mari d’Anna et père de son fils Nathan; physique fin, longs cheveux blonds; charme tout en douceur; porte des lunettes
  • Professeur Beck: chirurgien qui a opéré Anna après son accident; une soixantaine d’années, tempes grisonnantes, front haut et dégarni; fines rides au coin des yeux trahissant son naturel joyeux.
  • Docteur Gilbert: psychologue qui suit Anna après son accident.
  • Professeur Philippe Roody: neuropsychiatre spécialisé dans l’étude des mécanismes du cerveau, notamment des EMI; dirige un groupe de discussion réunissant des personnes ayant vécu une telle expérience; une quarantaine d’années, cheveux courts poivre et sel, des yeux au bleu perçant, sourire chaleureux, charme magnétique; habillé élégamment; se dégage de lui bienveillance et douceur; s’exprime avec une voix douce tout en exprimant force et profondeur; veuf.
  • Azad Pakazian: surnommé « Zed », commandant de police; la quarantaine sportive; cheveux noirs, teint mat qui contraste avec ses yeux clairs, pratique les arts martiaux, notamment le kendo: « Savoir allier la dimension spirituelle et physique et leur permettre de se concentrer à l’extrême en une frappe ultime qui percera les défenses de l’adversaire. Zed aimait cette philosophie et tentait de l’appliquer dans sa pratique martiale aussi bien que dans son travail. » (Page 67). Est entré à la police à l’âge de vingt ans, a travaillé cinq ans aux Stups avant d’échouer à la Crim; divorcé, sans enfant; croyant et pratiquant.
  • Audrey: patiente du professeur Roody; jeune femme âgée de vingt ans, aveugle de naissance; blonde, les yeux très clairs, très jolie; une âme pure qui rayonnait de joie de vivre et de bonheur, malgré son handicap.

Anna et son expérience de EMI: l’expérience de EMI vécue paemir Anna après son accident n’a rien d’anecdotique puisque l’intrigue est construite autour de cet événement; elle constitue en quelque sorte le fil conducteur du récit. Contrairement à la plupart des gens pour qui cette expérience revêt un aspect positif, Anna s’est vue avancer dans un tunnel glacé de lumière noire là où « tous les récits décrivent une bienveillante et chaude lumière » (Page 60).

Bien sûr, Anna a subi un véritable traumatisme: son caractère et son humeur ont changé au point que parfois elle ne se reconnaît plus. Elle se sent suivie toujours par le même homme: « Anna avait juste eu le temps d’apercevoir du coin de l’œil la silhouette de l’homme, trapue, la tête rentrée dans les épaules, le menton baissé. Il avait traversé la foule pour venir se coller contre elle, dans son dos, pour être certain qu’elle ne pourrait pas voir son visage. C’était LUI, l’homme de ses cauchemars, celui du tunnel noir, Anna en était certaine. » (Page 65). Mais le plus effrayant sont les visions de meurtres en train de se commettre. Pourquoi Anna a-t-elle de telles visions? Deviendrait-elle folle? Ou serait-elle investie d’une mission précise? Et d’où vient la petite voix qu’elle entend lui parler sans cesse depuis son accident?

Les lieux:

Les différents lieux dans lesquels se déroule l’histoire sont évoqués de manière précise et suffisamment détaillée pour mettre en place les éléments propices à créer des décors en apparence anodins, agréables et apaisants auxquels se substitue une atmosphère de suspense, d’appréhension, de peur…

chateau de vincennes
château de Vincennes

« La petite ville de Vincennes s’étalait tout en longueur entre le château et le bois. Ses larges rues pavées et la place piétonne ouverte sur une belle église au fronton blanc donnaient à la ville des airs de province. Le poumon parisien filtrait l’air vicié de la capitale grâce à ses cinq cents hectares de verdure. POURTANT, c’était quelque part au milieu de cet oasis que le piège s’était refermé sur Laetitia Gunther… » (Page 132).

Partout, même dans un lieu aussi inoffensifs qu’une cathédrale orthodoxe où le chœur était « composé d’une immense rotonde surmontée d’un dôme où trônait une monumentale peinture du Saint-Père … où il règne une chaleur constante entretenue par le crépitement des bougies, des milliers qui brûlaient en continu » comme pour écarter les ténèbres porteuses de malheurs, ou dans un endroit aussi sauvage que la lande recouvrant la terre en haut de la falaise normande d’où on aperçoit « la mer qui avait des tons grisâtres et sa surface qui était parcourue par une armée de moutons agités…les falaises qui tombaient à pic sur plus de cent mètres » (Page 276), on sent que le mal n’est jamais très loin, surveillant chacun de nos pas…

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Etretat

La ville de Paris comme décor principal: 

au-delà du simple décor servant de toile de fond à un récit, ici la ville de Paris apparaît comme le terrain sur lequel évoluent les différents protagonistes, décrit avec une grande précision, ce qui permet au lecteur de les suivre pas à pas dans tous leurs déplacements, comme s’il reconstituait lui-même leurs faits et gestes: « L’entré du métro Pont-Marie était à moins de cent mètres de la bibliothèque. Elle n’avait que quatre stations à parcourir pour se rendre jusqu’à Censier-Daubenton et retrouver son appartement de la rue Mouffetard. La ligne 7 desservait la fac de Jussieu et celle, un peu plus loin, de Tolbiac… » (Page 64).

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Jussieu

Même les non-parisiens peuvent aisément s’imaginer les lieux de l’action…La scène de crime: « Son regard scruta les alentours. A cette heure nocturne, le périphérique parisien était quasiment vide et la bretelle située légèrement en surplomb de l’autoroute livrait une vue imprenable sur Paris. » (Page 69)… »Il lui montrait la devanture du Flore en l’île, un café situé à l’angle des quais et possédant une vue imprenable sur Notre-Dame. » (Page 86)… »Anna remontait la rue Montorgueil d’un pas rapide. Situé à quelques pas des Halles, ce quartier s’était progressivement transformé pour devenir un point de ralliement obligatoire de la branchitude parisienne. Les enseignes des grandes marques bobos se partageaient l’espace avec de petits magasins tendances et des restaurants à la carte soignée et aux tarifs exorbitants. » (Page 167).

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Regard lucide et sans concession que certains personnages portent sur la Ville : « Il connaissait toutes ses dépravations, depuis les squats pourris où des loques humaines étaient prêtes à tuer leurs enfants pour obtenir leur dose quotidienne jusqu’aux quartiers chics où les mêmes enfants se prostituaient pour les mêmes raisons. » (Page 70)

En conclusion:

J’ai dévoré Quelque part avant l’enfer en 24 heures, top chrono !! Magistral!! Ce thriller est tout simplement MAGISTRAL !! Tous les ingrédients d’un excellent thriller y figurent, subtilement dosés dans un équilibre parfait: les personnages ont des personnalités complexes et/ou attachantes, sans qu’aucun ne verse dans la caricature du tout/bon ou tout/méchant; les lieux sont décrits avec suffisamment de détails de façon à ce que le lecteur puissent se  les représenter avec un maximum de véracité; des scènes d’action très crédibles, sans les exagérations aberrantes qui peuplent certains thrillers américains; du suspense, une tension dramatique qui monte crescendo maintenant le lecteur dans un état de fébrilité qui lui fait tourner les pages une à une, de rebondissements en scènes plus intimistes, jusqu’à la dernière, jusqu’à avoir enfin le fin mot de l’histoire. Avec un final digne des tout meilleurs!!

Le +: les coups de pied dans la fourmilière: ce que j’apprécie avec Niko Tackian sont les petites attaques disséminées ça et là, et conférant au récit une ampleur plus « sociale », plus « polémique »; certes, un bon thriller doit offrir avant tout un bon divertissement, mais pourquoi ne pas joindre l’utile à l’agréable en montrant du doigt les travers de notre société afin d’interpeller le lecteur, de lui donner la possibilité d’envisager les choses sous un angle plus profond, de partager avec lui plus qu’un moment de détente? « Un principe de la vie parisienne était de ne jamais croiser le regard de quiconque , de ne jamais sourire et de marcher le plus vite possible. Une capitale peuplées d’âmes errantes paralysées par la peur de l’autre, voilà le goût que laissait la ville vue d’en dessous. » (Page 64)… »Paris était une ville vitrine dans laquelle tout voyeur pouvait s’épanouir. Il suffisait de s’installer à la terrasse d’un café et d’écouter ses voisins. Les gens parlaient de tout, sans complexe, sans retenue et souvent avec un certain sens de la mise en scène narcissique. » (Page 95)… »C’était ça la police du futur dans les fantasmes des politiciens, une entreprise bien gérée, propre et avec le moins d’humanité possible » (Page 280)…Et vlan!!!enfer 1.jpg

Citations:

« Il faut être en paix avec son passé pour pouvoir envisager l’avenir. » (Page 166)

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