Publié dans Passion fantastique

Passion fantastique: Le miroir du damné, Frédéric Lyvins, J.B. Leblanc.

Un roman policier/fantastique: voilà une gageure hautement réussie par le duo de romanciers formé par Frédéric Lyvins et J.B. Leblanc. Une très belle découverte!!

Les auteurs:

lyvinsFrédéric Livyns est né le 2 juin 1970 à Tournai, en Belgique. Il se passionne très tôt pour la littérature fantastique et la SF. Il écrit des nouvelles et des romans dans différents genres, notamment la poésie, le roman noir et le roman fantastique. Passionné de lecture et de métal, il chronique régulièrement pour Phenix-Web ainsi que pour Le Suricate Magazine.

J.B. Leblanc est un auteur français de thrillers fantastiques né en 1973. Il est marié etjb leblanc père de deux enfants. Lecteur passionné de romans noirs et de thrillers, il aime, dans ses écrits, mélanger les domaines du policier et du fantastique.

Le roman:

Le Miroir du Damné a été publié par les éditions Séma, maison d’édition belge, en 2017 dans la collection « Séma’Isain ». Le style est tr_s réaliste, donnant beaucoup de détails, un peu comme dans un film. On suit les déplacements des personnages comme si on les suivait avec une caméra sur l’épaule, proximité très grisante et en même temps un peu inquiétante, de quoi nous faire agréablement frissonner…

Composition du roman: sa complexité en fait tout l’intérêt. Les pièces du puzzle du passé distillées au compte-goutte, venant s’imbriquer dans les chapitres dédiés au présent => Puzzle du passé//puzzle du présent. Mais aussi l’enquête policière sur le meurtre d’Alain imbriquée dans l’histoire de Kalvyn, de son retour dans son village natal, le ramenant dans son passé: « Les odeurs familières, que la météo exacerbait, le ramenèrent près de quinze ans en arrière. La senteur des vignobles, du raisin qui murissait sur pied, celle des pins des collines, celle de la roche chauffée à blanc, la fragrance du pays, les effluves de l’insouciance et du bonheur. Il se revit courir à travers les champs avec son petit frère. Un court instant, il l’entendit rire. » (Page 61).

Les allusions à une ancienne affaire entretiennent le mystère, l’envie de répondre à cette question: mais que s’est-il passé dans ce village de suffisamment traumatisant pour que les gens n’osent en parler à voix haute:  » Il y avait longtemps, souffla Charles. Je ne pensais pas revivre ça de mon vivant. Brimac baissa la tête, troublé, et le mouvement fit tressaillir le vieux docteur, qui s’éclaircit aussitôt la voix et déclara : — Heu, je ne voulais pas dire ça. Je ne voulais pas ressasser ça. Ne t’inquiète pas, il s’agit d’un acte isolé, il n’y a pas de série. » (Page 65).

Le surnaturel:art-3084798_640

L’ennemi à abattre, dans Le Miroir du Damné, n’est pas celui que l’on croit. Ni un homme, ni une femme, mais un démon qui se repaît des ondes négatives engendrées par des sentiments négatifs tels que la peur, la colère, la convoitise, la rancœur. Tel est le défi que devront relever les enquêteurs, habitués à évoluer dans un environnement terre à terre, presque manichéen: les gentils à la poursuite des méchants. Sauf que le méchant n’est pas une créature terrestre. « Kalvyn s’affala lourdement dans le canapé, les mains sur le visage. Il devenait fou. Cette histoire le happait hors de la réalité (…)Lorsqu’il ôta les mains de son visage, il n’était plus seul dans la pièce. » (Page 294).

Plusieurs jours se passeront avant que Fabre et Courtas le comprennent, malgré les avertissements reçus: » Il y a quelque chose à Tarsac. Lié à ce village. À son histoire. Et peut-être même à ta famille. Quelque chose de puissant et maléfique. Vous vivez avec depuis toujours, sans le savoir peut-être. Du moins, je l’espère. Et ça va te consumer si tu restes là-bas. Ça va emporter tout Tarsac. « (Page 242).

« On ne peut pas intercéder avec les forces et les énergies de l’invisible sans créer le danger. Sans payer le prix. » (Page 402).

L’intrigue:

La vieille Lucy est terrassée par une crise cardiaque.

Alain se fait mortellement agressé. Son corps est retrouvé avec la tête broyée.

Clément Brimac meurt d’une crise cardiaque.

=> Trois morts en moins de 24 heures…Mais que se passe-t-il à Tarsac, petit village tranquille situé au cœur du massif des Maures? Auraient-elle un lien avec une ancienne affaire qui a secoué les villageois douze ans auparavant?

Martin Fabre, chef de la police municipale, incapable de gérer la crise, fait appel à la PJ de Toulon qui lui envoie le lieutenant Gérald Courtas. Sur les dents à cause des récents attentats, Courtas devra se débrouiller seul avec l’aide de la succincte équipe de Fabre.

Kalvyn, fils de Clément, revient au village enterrer son père après huit ans d’absence. Il se rend au funérarium afin de rendre un dernier hommage au défunt. Mais, contrairement à l’usage, le cercueil est-il déjà scellé? Les questions et les doutes commencent à assaillir le jeune homme. Son père est-il vraiment mort d’une crise cardiaque? Décidément, il se passe des choses curieuses à Tarsac…

L’originalité de Le Miroir du Damné:

L’enquête menée conjointement par la police locale et par la Pj, confrontant deux personnalités, deux méthodes, deux mondes opposés. Pourtant, le lieutenant Courtas, de la PJ de Toulon, a autant besoin de Fabre, qui connaît le village par cœur, notamment sa situation particulière:  » À ce propos, Monsieur le procureur, je voudrais soulever un non-sens. Je veux parler de la situation de ce village et de sa carence en OPJ. Comment estce possible ? Il n’y a que des municipaux, ici ! Le premier commissariat ou la première caserne de gendarmerie est à trente minutes en voiture. La scène de crime a été découverte vers sept heures ce matin. Vous avez vu l’heure qu’il est ? Ce n’est pas possible. » (Page 32)images

…que Fabre de Courtas, plus expérimenté dans la conduite d’ enquêtes criminelles. » Tony, un de ses subalternes, l’avait appelé il y avait moins de vingt minutes. La panique avait fait monter sa voix dans les aigus, et ses propos étaient légèrement décousus, mais Martin avait compris l’essentiel : il avait trouvé un corps sans vie dans le tunnel du mémorial lors de sa ronde. Fabre avait alors prévenu un autre de ses subordonnés de se rendre sur place afin de sécuriser la zone. Ensuite, et malgré le fait que Tony lui avait assuré que ça ne servirait à rien, il avait appelé les pompiers. Les secours mettraient plus de trente minutes à arriver, étant donné qu’ils venaient de Pierrefeu-du-Var, en haut de la crête, après des kilomètres de vignobles. » (Page 23).

Les personnages:

  • Lucy: âge de 88 ans; sorcière et rebouteuse du village, de grands pouvoirs; habite dans une vieille maison isolée à la sortie de Tarsac; petite, voûtée, visage ridé, longs cheveux gris filasse, yeux très vifs.
  • Alain Fabiani: 18 ans; issu d’une famille tranquille, inscrit à la fac de Toulon pour la rentrée; très taquin.
  • Guillaume Perrotto, surnommé Spades: ami de Maxime; souffre-douleur d’Alain; amoureux de Wendy
  • Wendy Charlier: 17 ans; petite amie d’Alain; très belle: longs cheveux blonds, grands yeux bleus, lèvres finement dessinées; voix au phrasé lent, à la tonalité profonde; sûre de son charme dont elle joue.
  • Kalvyn Brimac: compagnon de Susan, fils de Clément Brimac; agent immobilier à Nice; ressemble beaucoup à son père; n’était pas revenu à Tarsac depuis 8 ans; charmant, intelligent, travailleur et bourré d’humour, mais complètement hermétique en ce qui concerne son passé.
  • Susan: compagne de Kalvyn; jeune femme honnête, d’humeur égale, d’un naturel optimiste; passionnée d’art, étudiante en droit pénal; caractère réfléchi, cède rarement à ses impulsions.
  • Martin Fabre: chef de la police municipale; maire de Tarsac à titre honorifique, pour dépanner, le titulaire, son propre père, étant très âgé; colosse aux épaules massives; mesure 1m90, pèse presque un quintal, ventripotent; 60 ans.
  • Gérald Courtas: lieutenant de la PJ de Toulon chargé de l’affaire de Tarsac; petit, bouc grisonnant, cheveux poivre et sel trop longs un peu en bataille, pommettes saillantes, regard vif, traits fatigués; la quarantaine; marié, deux enfants; a fait sa carrière au banditisme, puis aux stups et aux ambassades, à la criminelle depuis quelques années; opiniâtre, ne lâche jamais.
  • Rodolphe Motrel: procureur en charge du dossier, ambitieux mais sans expérience; carriériste; de petite taille; roux avec des taches de rousseur sur son visage juvénile; la trentaine à peine dépassée
  • Charles Grondin: médecin du village; 70 ans environ; un peu courbé mais toujours aussi énergique.
  • Maxime Moutier: copain de Spades.
  • Marc Hernandez: équipier habituel de Courtas; la trentaine; collègue dévoué et bienveillant de Courtas; détaché temporairement à la section anti-terroriste au vu des récents événements.

Les lieux:

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Massif des Maures

L’intrigue se déroule pratiquement en huis-clos dans un village perdu dans le massif des Maures, petite chaîne de montagnes située dans le département du Var. La configuration de Tarsac constitue un élément majeur du récit; il est donc très important de bien comprendre la disposition des lieux: enclavé au fond d’un chaînon de vallons rocailleux, l’été y est très chaud, étouffant, parfois pénible. Le village est coupé en deux parties séparées par un tunnel dont l’arcade présente des pierres disjointes. Comptant seulement environ 400 habitants, il est très étendu, encerclé par des vignobles et des exploitations agricoles.

Le village: « Le village n’avait pas changé. Le hameau avait toujours donné l’impression d’être hors du temps. À l’opposé des grandes villes trépidantes, la vie en ce lieu s’écoulait paisiblement. Cependant, il avait oublié une particularité : les trottoirs n’existaient pas, ici. Le seuil de porte des maisons donnait directement sur la route. C’était un peu déstabilisant, mais la circulation au cœur du village avoisinait le zéro absolu en cette période de l’année. » (Page 61)… « Le poste de police était attenant à une mairie à l’aspect plus proche de la maison de maître que d’un édifice public. Il était érigé sur une place à peine ombragée par deux chênes placés autour d‘une fontaine en pierre. » (Page 47). Les ruelles se ressemblent toutes, rendant compliquée la circulation pour les étrangers, ce qui a le don de rendre fou le lieutenant Courtas.

L’ambiance: 

Entre roman policier et roman fantastique, l’ambiance dans laquelle se déroule l’histoire fait partie des composantes incontournables du récit. Dans Le Miroir du Damné, les auteurs l’ont tellement bien soignée que l’appréhension, la pression qui pèsent sur les personnages s’écoulent des lignes pour s’infiltrer dans les moindres recoins de notre esprit, créant une tension dramatique parfois à la limite du soutenable. « À un embranchement, il hésita. Avec les volets fermés, les maisons se ressemblaient toutes. L’air suffocant pénétrait par les vitres baissées de la voiture. Gérald gardait la bouche ouverte pour respirer. Il n’y avait aucun habitant dans la rue. Il n’avait rencontré personne depuis son départ de chez les Fabiani. Tous se terraient dans cette cuvette de l’enfer. Se cachaient-ils de l’assassin ou de la chaleur ? Se craignaient-ils entre eux ou se méfiaient-ils seulement de lui. » (Page 48)

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Devil…

Au fur et à mesure que le récit progresse vers son inéluctable conclusion, les nuages noirs s’amoncellent dans un ciel jusqu’à présent d’un bleu lumineux, annonciateurs d’un orage aussi violent que les événements qui secouent le petit village, dans une symbolique certes largement utilisée mais redoutablement efficace. Le lecteur, transi d’angoisse, tourne les pages fébrilement…

Mon avis:

Le Miroir du Damné est un véritable phénomène dans le monde du polar: un roman policier flirtant avec le fantastique!! J’entends déjà les commentaires: quoi?? C’est quoi cette histoire à dormir debout? On ne peut pas mener une enquête criminelle en pourchassant non des tueurs en chair et en os mais un démon… Et bien si, on peut !! La preuve en est cet excellent roman confrontant les deux univers dans une harmonie parfaite, sans fausse note ni décalage.

A différents moments du roman, les deux auteurs s’entendent à manipuler leur lecteur, à instiller le doute dans son esprit, par exemple en lui faisant se poser la question cruciale: Fabre serait-il prêt à tout pour sauver son village, même l’impensable de la part d’un policier municipal?

Le contraste entre le monde moderne et Tarsac, figé dans un immobilisme issu des siècles passés, est particulièrement bien mis en scène, créant une atmosphère pesante, délétère: « Courtas s’appuya contre les fenêtres. Il se sentait piégé, manipulé. Coincé dans une spirale dont il ne pourrait pas sortir. Lucy devinait ce qu’il se passait dans la tête de cet homme. Son monde pragmatique, rationnel au possible, baignant dans la culture de la preuve, venait de se heurter à une réalité nouvelle, impalpable, inconcevable : celui de la peur et des croyances ancestrales. C’était un véritable choc pour lui. » (Pages 408-409).

Citations:

« — Bonsoir, lieutenant Courtas… Mais, avant que vous ne quittiez cette voiture, je vais vous confier quelque chose… Vous êtes à Tarsac et, ici, rien n’est comme ailleurs. Nous sommes coupés de tout, comme sur une île. La vie est différente, les mœurs également. Vous l’avez dit vous-même. N’essayez pas de faire plus que votre travail. » (Page 75)

 » L’homme est la propre prison de son âme. C’est un paradoxe. L’homme passe sa vie à craindre l’enfer alors qu’il représente son propre enfer sous des formes différentes. » (Page 196)

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