Publié dans cadavre, crise économique, enquête criminelle, fraude fiscale, manipulation politique, Passion polar

Passion polar: Pain, éducation, liberté, Petros Markaris.

Dernier tome de la Trilogie de la Crise: une vision pessimiste et sans concession de la Grèce ruinée, à genoux dans laquelle Charitos traque un tueur en série d’un genre particulier…

L’auteur:

téléchargementPetros Markaris est un auteur, scénariste, dramaturge et traducteur grec né en 1937 à Istanbul. Dans un premier temps, il a étudié l’économie, puis il s’est lancé dans une carrière de scénariste. Auteur de pièces de théâtre, il est le créateur d’une série très populaire pour la télévision grecque. Il est l’un des traducteurs grecs des œuvres de Brecht et de Goethe. Il vit à Athènes. Il est connu en France comme auteur de romans policiers et créateur du personnage du commissaire Kostas Charitos

Le roman:

Pain, éducation et liberté, Ψωμί, Παιδεία, Ελευθερία (Psōmí, paideía, eleuthería) en version originale parue en 2012, a été publié par les éditions du Seuil en 2014 dans la collection Policiers Seuil. Il est le dernier tome de la Trilogie de la Crise, faisant partie intégrante de la série consacrée aux enquêtes du commissaire Charitos. Au moment de sa parution, il était considéré comme un roman d’anticipation politique puisque Petros Markaris avait choisi d’en situer l’intrigue au début de 2014, au moment où la Grèce décidait de renoncer à l’euro pour revenir à la drachme. Au vu des événements douloureux intervenus depuis, on ne peut que s’incliner devant le caractère prophétique de l’oeuvre. Le récit, ancré dans une actualité qui s’éternise, est écrit au présent et à la première personne. L’auteur ne propose que peu de données temporelles: pas de date, le moment de la journée est rarement cité avec précision. Le style fluide est rythmé par de nombreux dialogues. Pas de temps mort ni de longueurs.

L’intrigue:téléchargement

2014. Tandis que Charitos et sa famille s’organisent afin de faire face à la suspension temporaire des salaires de la police, le commissaire s’intéresse au cas d’un jeune dealer plutôt intrigant: issu d’une famille aisée, ayant fait de brillantes études scientifiques, Charitos ne comprend pas pourquoi le jeune homme, arrêté pour détention de drogue, se justifie en déclarant qu’il avait besoin d’argent. Le flair de Charitos lui suggère qu’il y a anguille sous roche.

C’est alors que le père du jeune homme, entrepreneur, est retrouvé assassiné au centre Olympique de Faliro, couché sur un tas d’ordures. Les mobiles ne manquent pas: Vengeance d’un concurrent? En rapport avec son passé de militant? Un drame familial? Rancœur du fils? Acte terroriste? Un lien avec le crime organisé? Le commissaire Charitos et son équipe pataugent…

Puis une seconde victime est retrouvée: Nikos Theoloyis, pénaliste réputé et professeur de droit => Même génération, même profil que la première victime: tous les deux appartenaient à la « génération de Polytechnique », étaient mariés et père d’un enfant unique, vivaient dans l’aisance.

Un lien indéniable existe entre les deux meurtres mais pour quel mobile? Car les deux hommes ne semblaient pas se fréquenter. Charitos nage dans le brouillard. Pour résoudre cette enquête, il va devoir se fier à son instinct, amadouer sa hiérarchie…. et laisser sa voiture au garage!

Les personnages:

  • Kostas Charitos: commissaire
  • Koula: collègue de Charitos; ancienne secrétaire de Guikas; excelle dans les recherches sur le net.
  • Nikolaos Guikas: directeur de la Sûreté, supérieur de Charitos.
  • Nitos Vlassopoulos: lieutenant le plus expérimenté de l’équipe de Charitos.
  • Dermitzakis: membre de l’équipe de Charitos.
  • Peressiadis: agent des Stups.
  • Stavropoulos: médecin légiste.
  • Petrakos: directeur financier de la Domotekniki, dirige une compagnie de transports travaillant essentiellement avec l’Albanie et la Bulgarie.
  • Kyriakos Demertzis: fils de la première victime; dealer, issu d’une famille riche, a fait de brillantes études; garçon tranquille et discret mais également déterminé.
  • Thanassis Lakodimos: ancien ministre, député, ami de la première victime; membre de la « Génération Polytechnique ».
  • Katerina: fille de Charitos; avocate, assure la défense de Kyriakos Demertzis.
  • Mania Lagana: psychologue; amie et associée de Katerina.

L’ambiance:

Dans un contexte de crise économique et de faillite de l’Etat, le ministre de la Sûreté ayant démissionné, l’équipe de Guikas n’a plus personne pour la couvrir et prendre les décisions qui s’imposent; les enquêteurs vont devoir assumer toutes leurs actions et choix, et leurs éventuelles erreurs.
S’ajoute à cela la suspension des salaires, le gel des avancements, les forces de police en alerte à cause des manifestations dans les rues et les nouvelles élections qui se préparent =>De quoi mettre la clé sous la porte!!

Climat social constitue la trame de l’enquête menée par Charitos: les banques momentanément fermées, les Grecs se demandent si les dépôts sont garantis par l’Etat, et si les retraites et les salaires seront payés: « Les coupes répétées dans les salaires et les retraites n’étaient que le prélude…Je dois deux traites pour la voiture, d’accord, mais quel concessionnaire va reprendre une voiture pour si peu? L’argent que j’ai à la banque me permet de tenir trois mois, et je peux même faire traîner un loyer. Mais qui me dit que la suspension (des salaires) prendra fin dans trois mois? » (Page 21)… »Un magasin sur deux a baissé le rideau. Tantôt à louer, tantôt à vendre. Les pancartes sont là pour faire bonne figure: personne n’achète, personne ne loue ».(Page 45). => Dans ces conditions, comment assurer au mieux sa mission de maintien de l’ordre?

En conclusion:

Le +: une enquête criminelle intimement mêlée à la conjoncture du pays et au quotidien de Charitos et sa famille: comment les gens se serrent les coudes et font preuve d’initiatives originales et inventives pour tenter de se sortir du marasme, notamment le foyer pour SDF installé dans un ancien hôtel et radio Espoir.

Pain, éducation, liberté propose une analyse fine et objective de la situation de la Grèce en 2014. Plus qu’un roman policier, c’est un hymne à son pays en grande souffrance, mené à la ruine par des politiques avides et sans scrupules pour le peuple qui doit gérer au quotidien, oscillant entre dignité et désespoir. S’ajoutent à cela une intrigue parfaitement maîtrisée, un scénario crédible et des personnages qui ne sont ni des héros ni de parfaits méchants, simplement des hommes et des femmes qui se battent pour leur survie…

Citations:

« Des bâtiments il ne reste que les murs. L’intérieur est vide. Tout ce qui pouvait se revendre a été volé. Il n’y a plus que des sièges cassés, des portes brisées, des filets de but déchirés. Les projecteurs qu’on n’a pas emportés gisent par terre en morceaux. Les débris d’une grandeur passée: la Grèce entière n’est plus qu’un débris. » (Page 55).

« Je ne suis pas marié, monsieur le commissaire. Mais j’ai deux parents malades. Ma mère est alitée. La retraite de mon père n’arrête pas de fondre. Quant à nous, on nous a sucré les indemnités, puis les primes, et maintenant on ne nous paie plus. Mes parents ont besoin de médicaments. Les pharmacies nous en donnent quand l’Etat paie les soins. Qu’est-ce que je fais? Je laisse mourir mes parents? » (Page 68).

« Vous savez ce que je fais en dehors du travail? J’enseigne les maths dans une boîte à bac qui donne des cours gratuits à des enfants de quartiers défavorisés. C’était une idée de Kyriakos. On a trouvé un bâtiment inoccupé dans Attiki, on a squatté. Comme on n’a pas de sous, on a juste installé des tableaux noirs, et les mômes s’assoient sur les coussins qu’il apportent…Il accepte la situation: des études qui ne lui permettront pas de gagner sa vie, un boulot subalterne qui permet le bénévolat. » (Page 125).

« En Grèce, la magouille est devenue un métier, ou du moins un art, exercé partout -ministères, police, université. » (Page 157).

« On ne peut combattre la pauvreté si on ne l’accepte pas d’abord. Ces jeunes l’ont acceptée, ils peuvent la combattre. Ton père fait la même chose: il admet qu’il est pauvre et qu’il ne peut plus se payer le luxe d’une voiture. La plupart des Grecs pleurent encore leur richesse perdue, qui n’a jamais existé. Tant qu’ils le feront, ils ne pourront pas combattre leur pauvreté. » (Page 179).

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