Publié dans attentats terroristes, éditions Presses de la Cité, énigme historique, crime, fantômes du passé, malédiction, mystère, Passion thriller français

Passion thriller français: Le Champ des Martyrs, Jean-Luc Aubarbier.

Un passionnant récit entre réalité et fiction mené par une plume alerte et chaleureuse. Un grand moment de lecture…

L’auteur:

Libraire au cœur du vieux Sarlat, Jean-Luc Aubarbier est romancier : « L’échiquier du Temple », « Le Testament Noir », « La Vengeance de Gaïa » et « Le Complot de l’Aube Dorée » chez City éditions, « Le chevalier du Soleil » chez De Borée, « Les démons de sœur Philomène » chez Lattès et de Borée Poche, « Le Talisman Cathare » chez Lattès et Pocket, « L’Honneur des Hautefort » aux éditions Lattès, « Le chemin de Jérusalem » et « La Juge qui n’aimait pas Jacques Brel » chez Pierregord, « Histoires peu ordinaires à Sarlat » chez Elytis. Historien, il est l’auteur de différents ouvrages sur les Templiers, le Périgord et les pays cathare Passionné par la philosophie et l’histoire des religions, il est également conférencier et chroniqueur littéraire (Page, France Bleu Périgord, Essor Sarladais). « Les démons de sœur Philomène » ont été adaptés au cinéma par Jean-Pierre Denis sous le titre « Ici-Bas ».

Le roman:

Le Champ des Martyrs a été publié par les éditions Les Presses de la Cité dans la collection Terres de France en 2022. Le style de l’auteur est chaleureux comme savent l’être les terres périgourdines et vigoureux : « Tout a commencé avec cette histoire de piscine. Les enfants en voulaient une pour notre maison de vacances. Je la leur avais promise, mais je me heurtais au refus obstiné de mon voisin, propriétaire du champ des Martyrs, de me vendre ce bout de terre dont il ne faisait rien. Ils sont comme ça, les gens d’ici. Têtus. Le père Léonard aurait préféré perdre un bras plutôt que de se séparer du moindre arpent. Je demeurais désemparé, avec ma promesse non tenue, et le sentiment que je ne reverrais pas mes deux adolescents de sitôt. » (Page 10)3Je n’avais encore jamais vu ma métairie si tôt dans l’année. Au mois de mars, le bout de jardin et les pentes herbues qui montaient à l’assaut de ma demeure s’étaient couverts de violettes, de pervenches et de primevères. La maison, blottie contre son rocher, se chauffait au soleil printanier par réverbération, de manière naturelle. Les arbres, tout autour, bourgeonnaient. Le réveil de la nature correspondait à ma nouvelle existence. Je consacrai mes premières semaines au jardinage et aux aménagements, avant de me mettre sérieusement au travail. »(Page 19).

L’intrigue:

Suite à son divorce, Julien Leclerc, journaliste, prend un long congé afin d’écrire un roman. Coupé du monde turbulent, dans sa métairie nichée au fin fond du Périgord. Antoine et Eric, ses deux fils adolescents, refusent de venir passer leurs vacances chez lui. Trop loin de leurs distractions habituelles. Julien promet alors de faire creuser une piscine.

Julien décide d’écrire un roman sur la baronne de Montastruc qui vécut au château à partir de 1934. De son vrai nom Gilberte Destal, la baronne était une ancienne actrice qui, une fois devenue veuve, avait beaucoup œuvré pour le village de Saint-Pierre de Vitrac et son château. Au fur et à mesure de ses recherches Julien comprend que les villageois protègent un secret: « J’avais déjà constaté que la communauté semblait frappée par une malédiction : beaucoup de célibataires, de couples sans enfant. Elle paraissait condamnée à une mort lente. Ce sombre mystère excitait mon imagination. Le silence taiseux des villageois, l’obstination de mon voisin à refuser de me vendre le champ des Martyrs m’intriguaient. Le maire me prit à nouveau par le bras et m’entraîna vers la fête. » (Page 54).

Un secret qui remonterait aux événements qui ont ensanglanté Saint-Pierre pendant la seconde guerre mondiale. Mais la mort du père Léonard, en juillet, révèle une nouvelle qui fait sensation dans le village: Karl Hauser, l’avocat allemand, a acheté les terres du vieil homme. Hauser est retrouvé mort quelques jours plus tard. Ce meurtre serait-il lié à celui d’Amédée Duval survenu à Barcelone en 1960? Ou avec l’attaque que le village a subie le 9 août 1944. Julien, en quête de documentation historique en vue d’étayer son roman, se lance dans une quête passionnante, secondé par Greta, parente de Karl.

Cinquante ans plus tard, la communauté de Saint-Pierre est toujours marquée par les stigmates de l’Occupation dans les cœurs et les esprits. Ceux qui ont perdu un mari, un fils, un frère, ne les oublient pas. Julien est bien décidé à percer le mystère qui nimbe le château et les agissements de la défunte baronne, révélant une personnalité bien plus complexe que ce que les villageois en disent.

Les lieux:

Saint-Pierre de Vitrac: village fictif inspiré de celui de Saint-Julien de Crempse, au  nord de Bergerac. Le maquis Regain y avait établi son PC. Dix résistants furent tués au cours de l’assaut et le colonel Von Renteln, qui commandait la colonne, fit exécuter dix-sept villageois. Le délateur qui signala la présence des partisans ne fut jamais identifié. « Saint-Pierre-de-Vitrac était bâti en bordure de forêt, étagé sur un flanc de coteau, à l’abri des hordes touristiques. Le temps semblait s’être figé entre ses antiques maisons de pierre. Tout y était fait pour le repos du voyageur qui aspirait à poser ses bagages. Un peu à l’écart du bourg, les vieilles murailles de l’ancien château féodal, restauré, s’étiraient sur une colline qui surplombait un pré en friche » (Page 10) =>Un endroit si tranquille que le passant qui croiserait sa route ne se douterait jamais des terribles événements qui s’y sont déroulés.

En conclusion:

Un récit passionnant basé sur des faits réels, même si l’auteur a choisi de les situer dans un village fictif. Car son propos n’est pas tant de raconter une tragédie comme il y en eut malheureusement tant pendant la seconde guerre mondiale, mais de proposer une réflexion sur le rapport à la mondialisation, sur l’accueil fait aux « étrangers », représentés par les nombreux touristes, qui sillonnent le Périgord, bousculant ses habitants de leur torpeur et de leur routine. 

Une écriture claire et soignée met en lumière ce roman que l’on lit d’une traite, emporté par la verve de Jean-Luc Aubarbier, et par le savant tricotage qu’il construit entre passé et présent. Loin de juger les actes de chacun pendant cet épisode tragique, il se contente de nous mettre face aux événements: confronté à des situations extrêmes, comment réagit-on? Comment gère-t-on lorsque l’on se retrouve en danger de mort, face à des forces que l’on ne peut maîtriser? Devient-on un héros par la force des choses…ou un lâche? 

Citations:

« Il faut dire que la soupe de Fanchette méritait mieux qu’un détour : elle valait le voyage. C’était elle qui embaumait la place du village, à l’heure du midi. Le secret, je crois, c’est qu’elle mitonnait en permanence sur la cuisinière à bois. Il se dit qu’autrefois, avant de partir travailler, les paysannes laissaient la soupière à « couffir » sous la couette. Fanchette n’avait plus besoin de cet artifice, elle passait ses journées dans sa cuisine. Après avoir laissé fondre les légumes, pommes de terre, navets, carottes, choux et deux poignées de haricots blancs, additionnés de graisse d’oie, elle trempait la soupe en y ajoutant de grosses tranches de pain, taillées dans une tourte rassise. La soupe cuisait à feu doux pendant des heures. Quand on la posait sur la table, dans une soupière fumante, l’odeur seule aurait suffi à nous nourrir. La cuiller tenait toute droite dans l’épais breuvage au goût incomparable, crémeux comme un dessert. Même sans faim, on en descendait une assiette pleine, et on en redemandait. Longtemps, la soupe avait constitué l’aliment principal, souvent unique, du paysan. J’avais été frappé par ce respect quasi religieux du pain qui l’accompagnait. » (Page 32).

« Ils étaient nombreux, les Périgourdins qui ne supportaient pas l’exil et revenaient végéter dans leur campagne. Ailleurs, ils se sentaient mourir comme des poissons hors de l’eau. Ils étaient reçus au concours des Postes, de la SNCF ou au Capes. Ils partaient, la gorge serrée, la boule au ventre. Tous, sans exception, étaient nommés dans le Nord (ainsi désignaient-ils les territoires de la République situés au-dessus de la Loire) ; c’était comme une punition. Beaucoup, tel Norbert, démissionnaient assez vite et rentraient au pays. Les autres espéraient une mutation rapide, un passe-droit. Ils vivaient vingt années de bannissement qui les marquaient à jamais. Parfois, ils ne revenaient qu’à la retraite, ayant perdu leurs illusions avec leurs cheveux. » (Page 61).

« Je pestai de devoir attendre pour découvrir le recueil que m’avait recommandé Edmond Crouzel. J’aurais pu le lui emprunter, cependant j’avais l’habitude de griffonner sur les pages que j’utilisais comme documentation. Je savais que le maire tenait à son livre dédicacé comme à la prunelle de ses yeux. Je revins m’asseoir à la terrasse du bistrot. Norbert m’avait commandé une bière. À défaut de lecture, je décidai de l’interroger sur son père.— Il a été tué quand les Allemands ont attaqué le village, en août 44, me dit-il. Ma mère était enceinte de moi. Je suis né au début de l’année 1945.Je compris mieux pourquoi il se sentait tant d’affinités avec les maquisards et pourquoi ce passé l’obsédait. Lui non plus n’approuvait pas mon projet littéraire, pas plus que mon idée de piscine dans le champ des Martyrs. Il ne supportait pas que l’on touche à quoi que ce soit ayant trait à ses souvenirs. Les bois où chassait son père, le château en ruine qui avait été son terrain de jeu avant que le Hollandais ne le restaure… les événements, même ceux qu’il n’avait pas vécus, revêtaient un caractère sacré. » (Page 73).

 

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