Publié dans amitié féminine, Angleterre, crime, enquête criminelle, harcèlement, maltraitance, maternité, Passion polar, place des femmes

Passion polar: Les Femmes qui Craignaient les Hommes, Jessica Moor.

Un thriller qui traite d’un sujet grave avec pudeur et dignité. A découvrir absolument…

L’auteur:

Jessica Moor est une romancière britannique. Elle a grandi dans le sud-ouest de Londres. Diplômée en Littérature anglaise de l’Université de Cambridge, et en écriture créative de l’Université de Manchester, elle a travaillé dans le secteur de la culture et dans le social, notamment auprès des femmes battues.

C’est cette expérience qui nourrit son récit, sa volonté farouche de se faire le porte-voix des violences faites aux femmes. Son premier roman, Les Femmes qui craignaient les Hommes, s’est fait largement remarquer et figure sur les listes de nombreux prix et sélections.

Le roman:

Les Femmes qui craignaient les Hommes, Keeper dans la version originale parue en 2020, a été publié par les éditions Belfond en 2021 et en version poche en 2022 par les éditions Pocket. Le style est sobre, fluide: « Son pas de côté hésitant devient un grand arc de cercle, qui la ramène là où l’attend Jamie. Il est une heure du matin. La foule compacte s’est muée en un organisme vivant. La musique était chouette il y a cinq ans, mais aujourd’hui elle est poussive, tapageuse. » (Page 33).

Construction: Avant/Présent: vie de Katie avec Jamie, son nouveau copain.

Maintenant/Passé: l’enquête menée par Whitworth: on ne sait toujours pas les circonstances de la mort de Katie.

Thèmes: féminisme; féminisme radical; violences faites aux femmes; protection des femmes violentées.

L’intrigue:

Le corps de Katie Straw est retrouvé échoué en aval de Widringham: « le lieu, le sens du courant, la lividité -tout suggérait une chute depuis le vieux pont qui se situait dans le secteur du lieutenant Daniel Whitworth. » Le suicide ou l’accident seraient des conclusions logiques au vu des circonstances.

A moins qu’il ne s’agisse d’un meurtre en lien avec le travail de la victime au refuge pour femmes battues de Widringham. Pourquoi la police ne trouve aucun trace d’elle, ni sur les listes électorales, ni sur le registre de l’assurance maladie, ni à l’université où elle disait pourtant avoir poursuivi des études?  Ni adresse, ni passeport, ni certificat de naissance, ni relevés bancaires?

Ce que la police sait: Katie Straw avait des antécédents d’automutilation et de maladie mentale; elle a sauté d’un pont connu pour être le lieu de nombreux suicides; son petit ami trouvait qu’elle avait un comportement bizarre. Aucun signe de lutte, aucun marque sur le cadavre, aucun ADN étranger, apparemment aucun ennemi.

Le lieutenant Whitworth et l’inspecteur Brookes, fraîchement arrivé de Manchester, auront fort à faire pour éclaircir cette mort mystérieuse. D’autant que, en tant qu’hommes, ils ne sont pas vraiment les bienvenus dans le refuge où travaillait Katie pour mener leur enquête…

Les personnages:

  • Daniel Whitworth: lieutenant de police, bientôt soixante ans et trente ans de bons et loyaux services au sein des forces de l’ordre; père d’une ado de seize ans.
  • Maureen: épouse de Daniel; femme forte et courageuse, de bon conseil pour son mari.
  • Inspecteur Brookes: assistant de Daniel fraîchement arrivé de Manchester; un peu impulsif.
  • Katie Straw: la victime, orpheline; travaillait au refuge pour femmes battues de Widringham; professionnelle, très appréciée pour son empathie.
  • Noah: petit ami de Katie.
  • Valérie Redwood: directrice du refuge; ne cache pas son aversion pour les hommes en général, les flics en particulier; peu coopérative.

Les lieux:

Widringham, banlieue de Manchester: contraste saisissant entre la ville de carte postale, avec sa rivière enjambée par un pont datant du Moyen-Age, celle qui est l’objet d’articles dithyrambiques, accueillant avec ferveur un célèbre chef cuisinier revenu ouvrir une boutique-hôtel…Et le côté sombre fait de blocs de béton datant des années soixante-dix, relégué  de l’autre côté de la vallée, la drogue, la délinquance et ses vies brisées bien à l’abri des regards.

Refuge: un lieu sans couleurs, sans relief, balayé par une odeur persistante de cuisine rance et d’assouplissant bon marché; un endroit où se terrer, où se dérober à la sourde menace représentée par un mari ou un compagnon: « Ils pénétrèrent dans un étroit couloir dont toutes les portes, de couleur beige, étaient closes. Placardé au mur, un panneau de liège informait des consignes de sécurité en cas d’incendie, à côté du règlement de la maison et d’un planning pour les tâches ménagères. Le bâtiment n’avait rien de remarquable. » (Page 42)

En conclusion:

Un premier roman intéressant, traitant d’un thème délicat avec beaucoup de pudeur et d’objectivité. Ne pas mettre tous les hommes dans le même sac: l’auteur laisse la parole aux détracteurs de l’action de la directrice du refuge sans porter de jugement. Tout en ménageant la sensibilité et les ressentis des femmes malmenées par la vie qui souhaitent prendre du recul pour se reconstruire, envisager une autre vie, fuir la violence. Jessica Moore excelle à démonter les mécanismes de la domination psychologique, de la peur au quotidien, des séquelles que la violence sous toutes ses formes peut engendrer. Et la difficulté de mener une enquête criminelle dans un tel contexte.

Citations:

« Aux infos ou ailleurs, t’entends toujours dire qu’il faut avoir pitié des gens. Qu’il faut essayer de les comprendre. Mais, putain, qu’est-ce qu’il y a à comprendre? Ils font juste de la merde parce qu’ils croient pouvoir s’en tirer comme ça, purement et simplement? -Mais beaucoup ont sans doute eu une enfance épouvantable? (…) -C’est sûr, avait admis Jamie en haussant les épaules. Mais dans ce cas, tu fais quoi des gosses qui ont une vie atroce et qui, pourtant, ne font pas ce genre de conneries? Des gamins qui vont à l’école, obtiennent leur diplôme et trouvent du boulot pour payer les factures? Qu’en est-il d’eux? Ou est la pitié pour ces enfants-là? » (Page 65)

« Ainsi incliné, il contemplait l’eau en-dessous de lui. Elle paraissait inoffensive, presque accueillante, brassant une écume douce comme une plume, qui émaillait les bords tranchants des roches sombres. A la regarder, on ne pouvait deviner sa froideur. Ni que sa clarté masquait une morsure glaciale, pouvant anéantir une vie humaine en moins d’une minute. » (Page 104)

 » -D’après ce qu’on voit, on peut considérer qu’elle s’est suicidée. Je ne sais pas pourquoi on essaie d’y trouver une raison. Pourquoi est-ce qu’on se suicide? Et plutôt que de s’arracher les cheveux, est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux travailler sur une affaire qui concerne des gens encore en vie?  Pendant un court instant, Brookes sembla désemparé, vulnérable. Jusqu’ici Whitworth s’était demandé s’il s’efforçait de paraître plus dur et blasé qu’il ne l’était vraiment. Après tout, ce petit gars était plutôt nouveau dans le commerce de la mort. » (Page 137)

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