Publié dans éditions Lajouanie, cadavre, crime, délinquance, Passion polar français, trafic de drogue

Passion polar français: Le Nantais, Carl Pineau.

On ne ressuscite jamais mais on peut crever plusieurs fois…Troisième et dernier opus de la trilogie Les Nuits Nantaises: disparition d’un lot d’héroïne dans les locaux de la police, assassinat sanglant d’une policière, trafic de drogue, menaces…Tous les ingrédients d’un bon polar à la sauce film noir…

L’auteur:

téléchargementCarl Pineau est né à Nantes en 1966. Très jeune, il se met à fréquenter la vie nocturne de sa ville natale. Il se fait d'ailleurs embaucher par une discothèque afin d'en animer les soirées. Les lieux cultes des nuits nantaises deviennent alors pour lui un univers familier. 
À 21 ans, il quitte le monde de la nuit et reprend ses études.

Bien que Nantes soit sa ville de cœur, depuis 2009 il vit en Thaïlande avec sa femme et leurs deux enfants, réalisant ainsi son rêve d'enfant: devenir écrivain. Il est l'auteur de la trilogie Les Nuits Nantaises dont Le Nantais est le dernier opus.

Le roman:

Le Nantais a été publié par les éditions Lajouanie en juin 2020. Le style abrupt, mis en valeur par un vocabulaire et des sonorités volontairement agressifs, donne le ton de l’histoire sombre qui va nous être contée. Le ton, volontairement désabusé, donne la note de tout le roman: « Longtemps je m’étais usé à croire qu’il suffit de se convaincre que le passé se répare pour que le destin vous offre une autre chance. Alors j’avais tenté cette chance, reconstruit un monde où l’impression d’être utile absorberait le poison que je portais. Je me suis trompé. Ce n’était qu’un mensonge de plus, un mensonge de trop. » (Page 11)…Parfois d’un cynisme brut: « Selon mon observation, les certitudes se brisent à coups de claques du destin. La laideur du monde s’harmonise lentement avec notre part sombre en sommeil…La tragédie humaine se résumait en une épreuve inévitable: chacun était un jour confronté à la perte d’un être cher, à la conscience que tout s’éteint et au tourment de ses fautes. La vie ne devenait qu’un convoi mortuaire, le ticket à la main vers son propre caveau. Et tous portaient ça comme ils le pouvaient. » (Pages 105-122).Cynisme bien dans la trempe des films noirs des années 40-50 dans lesquels Philippe Marlowe, désillusionné quant à la nature humaine, évolue dans une atmosphère sombre, brumeuse, délétère…

L’intrigue:

nantes 2Nantes. Années 2000. Quelques années après les événements qui se sont déroulés dans Le Sicilien, Greg Brandt, désormais à la retraite, dirige une association dont le but est d’aider les drogués à se sortir de leur enfer. Mais sa mission dérange les dealers du coin, notamment Hamed qui lui déclare la guerre: « Va falloir choisir, ou tu pars, ou tu casques! Et si tu préviens tes amis keufs, ce sont les gens autour de toi qui souffriront. » (Page 18).

C’est alors qu’un lot de drogue saisi disparaît de la salle des scellés du Quai des Orfèvres. La possible implication de Kenza Alami, policière d’origine marocaine, qui a été vue sortant des locaux la même nuit avec trois sacs de sport, complique la donne d’autant que la jeune femme, originaire de Nantes, connaissait bien Hamed…D’ici à penser qu’elle était sa complice, les flics franchissent allègrement le pas. Le problème est que la jeune femme est retrouvée égorgée dans son appartement.

Hamed est-il le meurtrier de Kenza et le commanditaire du vol de l’héroïne représentant environ trois millions d’euros, somme qui lui permettait d’étendre son trafic en dehors de son quartier et de devenir le dealer le plus important de la place nantaise? Surtout après l’élimination du chef de gang Robert, suscitant l’émoi parmi les trafiquants lorgnant d’un oeil torve la place laissée ainsi vacante.

Joss Barrault, directeur des Stups de Nantes, qui veut absolument éviter une guerre des gangs qui s’avérerait des plus meurtrières, fait pression sur Greg afin que ce dernier, qu’il suppose bien introduit dans le milieu de la drogue, l’aide à coincer Hamed et à démanteler son réseau. La situation devient rapidement explosive: « Tant que cette histoire ne sera pas tirée au clair, les flics seront à cran, les dealers en guerre de territoire. La pression va monter entre eux. La seule façon d’empêcher que ça nous atteigne, c’est de neutraliser le chien enragé qui a égorgé Kenza Alami. » (Page 96).

Pourtant, la marge de manœuvre de Greg, pris entre ses anciens collègues et les dealers, est proche de zéro, l’urgence étant pour lui de localiser l’héroïne et de la récupérer avant qu’elle ne réapparaisse à Nantes.

Les personnages:

Des êtres abîmés par la vie, meurtris par leur passé douloureux, se retrouvant face à d’autres gonflés de leur importance et de leur vacuité, interagissant les uns avec les autres en une sombre sarabande:

  • Greg Brandt: policier à la retraite, un enquêteur hors pair, avec un flair infaillible; travaille pour une association « prenant en charge des toxicomanes, es aidant à se défaire de leur addiction en partenariat avec des centres médico-sociaux, les aidant à se réinsérer dans la vie professionnelle. »
  • Hamed: dealer du quartier de Bellevue; homme violent, impitoyable, 5 ans de prison pour le meurtre d’un caïd, n’hésite pas à éliminer ses concurrents; intelligent, a su s’entourer d’une garde rapprochée qui lui obéit au doigt et à l’oeil.
  • Joss Barrault: directeur des Stups de Nantes; a été sous les ordres de Greg quand il bossait à la Crim; rancunier et arriviste, raisonne pour son intérêt propre, manque d’intuition.
  • Rachel: ex-droguée, d’origine vietnamienne, travaille et vit avec Greg.
  • Tristan: à l’origine de l’association dans laquelle Greg travaille; ex taulard que Greg a coincé pour trafic de cocaïne; force de caractère peu commune, impulsif.
  • Françoise: psychiatre ; vit très solitaire, ses deux enfants vivant aux USA; consacre tout son temps à ses patients; deux fois divorcée; très belle selon l’avis de l’inspecteur.
  • Saïda: soeur d’Hamed, amie de Kenza Alami.
  • Robert: chef de gang, dealer; ancien officier du service d’Action Civique et de l’OAS.
  • Pierrick Quiguer: capitaine de la brigade criminelle, ancien collègue de Greg; n’a pas sa langue dans sa poche.
  • Marcel: ami de Greg, ancien flic, esprit vif, intelligent.

Les lieux:

Description à la façon des films noirs, créant une atmosphère sombre, empreinte de tristesse et d’un je-ne-sais-quoi de mélancolique: « A une centaine de mètres, le Belem regagnait son port d’attache, dans la pénombre. J’ai admiré quelques minutes le majestueux trois-mâts, puis j’ai tourné mon regard vers l’ancien bar à hôtesses reconverti. L’enseigne Chez Pascale était allumée, la vitrine opaque ne permettait pas d’apercevoir l’intérieur…J’ai traversé la route, ouvert la porte et jeté un coup d’oeil circulaire sur la salle à l’ambiance parfumée de vieux cuir, de cuisine à l’huile d’olive et d’alcool. » (Page 46)

La banlieue de Nantes, dans le même ton que tout le reste du roman: 

« Les rues de la cité des Dervallières étaient désertes et sinistres, des feux de poubelles brûlaient çà et là, on se serait cru dans un pays en guerre…J’ai dépassé plusieurs HLM, édifiés dans les années 1960. Les murs étaient tagués de slogans haineux envers la police, plus aucun lampadaire ne fonctionnait, le silence était total, absolu… » (Page 199).

Contexte social:

L’histoire se déroule au moment des émeutes qui ont enflammé les banlieues françaises, démarrant à Clichy-sous-Bois, dans le 93, suite à la mort de deux adolescents essayant d’échapper à la police; événements relayés par Carl Pineau afin de poser le décor dans lequel son récit va se dérouler: Les trottoirs étaient déserts, la nuit prendrait bientôt possession du lieu. Je me suis demandé si elle serait aussi violente que la précédente, les jeunes étaient-ils en train d’attendre chez eux, prêts à sortir pour cramer des bagnoles en jouant au chat et à la souris avec les CRS? » (Page 90).

En conclusion:

Le +: ce troisième et dernier volet évoque le devenir de personnages rencontrés dans L’Arménien, comme Dario et Leïla, même s’ils n’interviennent pas dans l’histoire présente. Ce qui permet à l’auteur de construire son intrigue dans un réalisme concret; même chose avec le personnage de Robert que l’on retrouve ici, même s’il ne joue qu’un rôle indirect.

Le +: des dialogues, nombreux, au vocabulaire percutant, participant à la mise en place des personnages et des actions: « -Qu’est-ce qui t’amène dans cette guitoune? -Je cherche le burlingue de Barrault. -Tu le trouveras de l’autre côté, les Stups y ont provisoirement planté leur bivouaque. Il a marqué un temps. -Qu’est-ce qu’il te veut, Barrault? -Rien. C’est moi qui souhaite le voir. Il s’est approché. -Méfie-toi. C’est une tête de noeud avec un QI en dessous d’une marée soixante. Un parachuté…Les mecs sous ses ordres lui pissent à la gueule. » (Page 100).

En lisant ce dernier opus, vous plongerez allègrement dans l’ambiance des banlieues et des nuits nantaises, tout ce qu’on veut sauf tranquilles…avec tant de jubilation que vous en redemanderez…

Citations:

« J’ai temporisé avec le constat que j’avais fait: la majeure partie des habitants musulmans de Bellevue souhaitait vivre en paix, offrir le mieux à leur descendance, ce que l’ascenseur social en panne ne leur permettait plus. » (Page 83).

« A huit heures précises, je me suis garé place Waldeck-Rousseau, devant l’hôtel de police baptisé en 1882 en hommage à ce maire de Nantes, à l’emplacement où le projet d’un immeuble moderne venait d’être retardé par des recours du voisinage. L’édifice de pierre possédait à mes yeux une noblesse que n’aurait jamais le moderne, mais j’étais conscient que mes yeux étaient ceux d’un ex-flic réfractaire au fatalisme de la nouveauté arrogante, celle qui croit toujours se substituer en mieux à l’existant. Alors que rien ne change de l’essentiel des turpitudes humaines. » (Page 99).

« Un homme doit défendre son territoire, ça se fait pas avec de belles paroles. Nous avons planté notre drapeau partout dans le monde, on est devenu faible et on s’est fait jeter. Ceux qui nous ont virés sont en train de planter leur drapeau ici. Ca a commencé par les quartiers, ensuite ce sera les villes. Leur drapeau, c’est la religion. Aucune république ne fera le poids face au fanatisme. C’est sur la base de la foi chrétienne que nous avons bâti notre empire, eh bien le boomerang nous revient en pleine poire…Les moutons modérés se réfugieront dans les bras du vainqueur. C’est toujours comme ça que ça se passe. » (Page 115).

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