Publié dans amitié féminine, angoisse, maltraitance, maternité, Passion thriller, secrets de famille

Passion thriller: Autopsie d’un drame, Sarah Vaughan.

Thriller psychologique habilement mené autour du thème de la dépression post-partum, trop souvent prise à la légère, et de la relation mère-enfant.

L’auteur:

téléchargement (2)Sarah Vaughan, journaliste et romancière britannique, après des études d’anglais à Oxford, a travaillé pendant onze ans au Guardian avant de publier « La meilleure d’entre nous », son premier roman, puis, en 2017, « La ferme du bout du monde ».

Elle vit près de Cambridge avec son époux et leurs deux jeunes enfants.

Le roman:

Autopsie d’un Drame a été publié par les éditions Préludes en 2021. Le style est énergique, construit autour d’un vocabulaire précis et de phrases courtes, donnant la mesure du drame qui se joue: « Elle hurle à présent. Le bébé gesticule. Elle le serre trop fort : de peur, elle relâche son étreinte. Ce faisant, elle permet aux poumons du bébé de se gonfler et l’éruption de furie qui s’en échappe rigidifie le minuscule corps, parcouru d’une énergie farouche qui palpite de la pointe de ses orteils pour remonter le long de sa colonne vertébrale. » (Page 10).

Construction: les chapitres consacrés à Liz sont écrits à la première personne; les autres, donnant le point de vue de Jess et d’Ed, sont écrits à la troisième personne, faisant progresser l’histoire selon le vécu de chacun. Ce parti pris donne une importance particulière à son personnage qui est le pivot du groupe d’amis de par son statut de médecin-pédiatre à l’hôpital L’auteur navigue sans cesse entre le présent et, revenant en direct sur des événements de leur jeunesse et de leur vie d’adulte ayant un impact sur les événements relatés. Pour plus de clarté, chaque chapitre précise le nom du personnage ainsi que la date et l’heure.

Thèmes: maternité; dépression post-partum; amitié féminine. Sarah Vaughan aborde ici un sujet difficile, peu exploité, en donnant la parole à une mère en souffrance, en proie à des questions qu’elle n’ose évoquer avec ses proches.

L’intrigue:

La petite Betsey, 10 mois, fille de Jess et Ed, est admise en pédiatrie pour une suspicion de traumatisme crânien, dont l’origine n’est pas claire, apparemment suite à une chute qu’elle aurait faite alors qu’elle tentait de se mettre debout en s’agrippant au réfrigérateur. L’enfant ayant vomi avant que son père ne l’emmène à l’hôpital, Lyz, qui est de garde ce soir-là,  est obligée de faire pratiquer un scanner. Le fait que Jess n’ait pas remarqué la contusion, qu’elle n’ait pas vu les circonstances de l’accident, dont le scénario est bien peu probable, étant occupée à préparer un smoothie à son fils, qu’Ed ait emmené sa fille six heures après sa chute intrigue le chef pédiatre: « Je n’aime pas ça du tout. Six heures se sont écoulées entre la chute et l’arrivée aux urgences, la mère n’a pas remarqué le traumatisme crânien, l’explication, selon laquelle la petite serait tombée alors qu’elle était à quatre pattes, est peu satisfaisante au regard de la gravité de la blessure et il y a un soupçon de fracture à l’arrière du crâne… Vous savez ce que ces signes pourraient indiquer ? » (Page 40)…Bien sûr que Lyz le sait: il pourrait s’agir de signes de maltraitance…Mais Jess étant son amie, elle ne peut plus s’occuper du cas de Betsey.

A partir de ce moment, la procédure s’enclenche: les services sociaux sont prévenus et vont mener leur enquête. Jess, soupçonnée d’être une mauvaise mère, ne peut plus approcher sa fille sans la présence d’une assistante sociale. Les autorités exigent que sa soeur Martha s’installe chez eux afin de s’occuper des autres enfants du couple. Commence alors pour eux une lente descente aux enfers, Ed n’étant pas loin de penser que sa femme ait pu maltraiter leur fille dans un moment de forte déprime.

Déprime post-partum dont ni lui si les amies de Jess n’ont identifié les signes avant-coureur. Pourtant Liz, qui connaît bien son amie et son souci constant d’être une mère parfaite, ne peut y croire. Elle soupçonne que le scénario mis au point par la police ne reflète pas la réalité. Que s’est-il vraiment passé ce soir-là? Qui Jess protège-t-elle?

Les personnages:

  • Lyz Tranchard: médecin praticien hospitalier au service de pédiatrie de St Joseph, dans l’ouest de Londres; amie de Jess et Ed; narratrice partielle.
  • Jess: mère de trois enfants, dont Betsey; amie de Lyz; mère consciencieuse et dévouée.
  • Nick: mari de Lyz; enseignant dans le secondaire; père et mari attentif; très proche de Lyz.
  • Ed Curtis: mari de Jess: gestionnaire d’un fonds spéculatif, gagne très bien sa vie; rarement à la maison.
  • Neil Cockerill: pédiatre en chef du service.
  • Mel: amie de Lyz et de Jess; abandonnée par son mari.
  • Charlotte: amie de Liz et de Jess; avocate.
  • Martha: soeur de Jess; chaleureuse et pragmatique, version améliorée de Jess: communicative, toute en rondeurs; un roc.

En conclusion:

Le concept de Autopsie d’un Drame, comme son nom l’indique, est de pratiquer une analyse très poussée du drame qui a secoué les fondements de la famille de Jess et Ed, en sondant la psychologie des personnages: les pensées de Jess qui, assumant mal la naissance de son troisième enfant, craint de se laisser un jour déborder par son trop-plein d’émotions contradictoires et de s’en prendre à son bébé. Son obsession pour la perfection derrière laquelle elle cache ses doutes et ses questionnements est parfaitement illustrée par l’auteur qui jamais ne juge. Jess a le droit d’être fragile émotionnellement, nerveusement aussi, car, si mettre au monde un enfant est un acte naturel, il ne faut pas oublier qu’il peut avoir des répercussions psychologiques parfois pouvant mener à l’infanticide.

Ed, le mari de Jess, finit par comprendre la détresse de sa femme, amplifiée par le sentiment d’abandon et de gérer seule leurs trois enfants. Très pris par son travail qui leur permet de vivre très à l’aise financièrement, il part tôt et rentre tard. Il n’a donc pas réalisé combien la naissance de leur fille a déstabiliser Jess. Là encore, il ne s’agit pas de l’accuser, mais de montrer un père et un mari qui, lui aussi, peut se sentir perdu et déboussolé. Mais grâce au dialogue et à l’aide de Lyz, il finira par trouver la voie d’un compromis satisfaisant pour tous.

Autopsie d’un Drame aborde un sujet grave avec beaucoup de finesse et de subtilité: il ne s’agit pas de victimiser ni de stigmatiser de jeunes mères en proie à une dépression post-partum. Sarah Vaughan nous interpelle en nous montrant combien cette affection est à prendre avec le plus grand sérieux, qu’il est tout à fait possible d’en sortir victorieuse à condition d’être soignée avec vigilance et compassion. Et combien les proches ont un rôle à jouer, comme Liz qui, malgré la rancœur de Jess, n’abandonne pas son amie.

Sarah Vaugan signe un thriller psychologique puissant, dont la mise en scène magistrale trouve son apogée avec le coup de théâtre final. Longtemps, le lecteur se pose la question cruciale: Jess, en proie à une pression psychologique intense, a-t-elle franchi le pas? A-t-elle craqué et maltraité son bébé, au point de lui infliger des blessures graves? Jusqu’au dernier chapitre, nous nous laissons mener par l’auteur dans les tréfonds de ce drame dont nous tentons de décortiquer afin de trouver la solution. En vain…

Citations:

« Je ne suis pas étonnée que Charlotte lui en veuille. Les mères au foyer appartiennent à une autre espèce de femmes. Elles se trouvent à la grille de l’école à 8 h 45 et à 15 h 30 ; détendues et joyeuses dans leurs caleçons de course, tels des oiseaux exotiques qui piaillent. Elles sont différentes de nous, les travailleuses, avec nos tenues sinistres, bleu marine ou noir, qui déposons nos enfants en courant et mettons un point d’honneur à faire taire notre culpabilité, nos choix de vie étant justifiés par un désir d’accomplissement – et bien souvent par les échéances d’un prêt immobilier. » (Pages 113-114).

« Elle dépasse le bureau des infirmières et se dirige d’un pas vif vers la grande chambre divisée en six, et le lit de Betsey, priant pour s’être trompée, pour que son bébé soit en vie, en train de guérir. Pour que sa fille soit simplement endormie, que ses joues aient retrouvé leur habituel rose, signe de bonne santé, et non ce rouge fiévreux. Ou peut-être même pour qu’elle soit réveillée. On lui aura retiré son bandage et elle sourira : elle adressera à Jess son sourire le plus joyeux, le plus resplendissant, et elle gazouillera, comme elle le fait parfois pour sa mère, de cette façon si délicieuse et irrépressiblement réjouissante. » (Page 143)

« Il a la présomption et l’innocence d’un garçon qui ignore qu’il pourrait tomber. Et voilà à quoi se résume la maternité, songe-t-elle, alors qu’elle est, malgré elle, hypnotisée par le corps agile de son fils, qui monte toujours plus haut. Laisser ses enfants s’éloigner, petit pas après petit pas, jusqu’à se retrouver complètement seule, abandonnée. Apprendre à perdre peu à peu le contrôle, à partir du moment où ils apprennent à ramper, jusqu’à celui où ils escaladent des arbres, prennent leur vélo pour aller à l’école puis quittent la maison. En liberté dans le vaste monde où elle ne peut plus contrôler ce qui leur arrive, leur offrir la moindre protection.Elle ne s’en croit pas capable. Vivre sans pouvoir garantir leur sécurité, sans avoir la certitude qu’ils seront sains et saufs. Il suffit de prendre l’exemple de Betsey. Une simple décision stupide – les laisser seuls – a mis son existence sens dessus dessous. Sa fille est à l’hôpital, la police s’acharne sur eux, et Jess repense alors à la présence de l’inspectrice Rustin sur son perron ce matin, le ventre noué par l’angoisse. Elle ferait n’importe quoi pour remonter le temps et effacer cette décision. » (Page 209).

« Elle savait que ce serait difficile. Une thérapie cognitive et comportementale, voilà pour quoi elle a signé. Sévère dépression post-partum et TOC, c’est ce dont elle souffre à en croire l’évaluation psychiatrique de la semaine dernière. Elle n’aime pas qu’on lui colle des étiquettes et pourtant, lorsque le Dr Arnold lui a énoncé les caractéristiques des troubles obsessionnels compulsifs post-partum, un déclic s’est produit dans son cerveau. C’était donc une maladie répertoriée ? Elle n’était pas la seule à ressentir ces angoisses ? Le psychiatre avait même eu l’air de penser que Jess pourrait agir sur ses troubles mentaux à l’aide de cette méthode thérapeutique. « Vous vous sentirez mieux, lui a-t-il assuré. Bien mieux que maintenant. » (Page 315).

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