Publié dans angoisse, cadavre, disparition inexpliquée, Editions Plon, enquête criminelle, Passion polar français, psychologie des personnages, reiki

Passion polar français: Reikiller, Laurent Philipparie.

Un roman captivant, original, puisant ses racines dans le passé de l’Occupation et dans la pratique du reiki, technique japonaise encore peu connue en Europe. Laissez-vous porter par le style énergique et le ton juste de Laurent Philipparie…

L’auteur:

téléchargementNé le 26 juillet 1973 à Sarlat, Laurent Philipparie est criminologue, capitaine de police, romancier et conseiller littéraire. Entré à l’âge de 27 ans dans la police, il commande aujourd’hui des unités de terrain dans l’agglomération bordelaise.

Il fait partager son goût de l’écriture à des lycéens dans le cadre de missions interministérielles.

Après quinze ans à la BAC, il publie son premier roman, Ne regarde pas l’ombre (2016), suivi de Lectio Letalis publié en 2019 par les éditions Belfond. Reikiller est son troisième roman.

Le roman:

Reikiller a été publié par les éditions Plon en 2021. Le style hybride s’adapte aux différents aspects de l’intrigue: dans les chapitres consacrés à l’enquête, le rythme soutenu emporte le lecteur dans son tourbillon, ne relâchant la pression pas une seule seconde. Quant aux chapitres consacrés à l’histoire parallèle des membres du Satyre Rieur et de leurs proches, le style est énergique, employant un vocabulaire choisi et abrupt, même dans les discussions: « Les colonnes d’assaut avancèrent telles deux traînées noires ruisselantes de part et d’autre de la voie. Le terrain était enclavé dans une forêt dense et mal entretenue. A moins de vouloir produire un bruit d’enfer, on ne pouvait y accéder autrement que par ce chemin défoncé. Stefano habitait une maison à la sobre architecture. UN rez-de-chaussée et un escalier extérieur menant à un étage. Cette bâtisse était très ancienne, transmise de génération en génération au sein d’une même famille…Camouflés à bonne distance, les effectifs en surveillance du site les avaient prévenus. Trahi par les interstices saignant les volets, le rez-de-chaussée s’était illuminé deux heures plus tôt. » (Pages 142-143).

Le style de l’auteur se caractérise par son son sens de la description, porté par un vocabulaire simple pour un rendu évocateur: « Dans une contorsion extrême, son bassin se redressa. Saisissant la barre, elle s’enroula sur elle-même. Les talons de ses chaussures pailletées vinrent se poser sur sa nuque. Sa tête se releva, offrant une expression insouciante. L’une de ses mains lâcha prise et n’oublia pas d’aller lisser sa chevelure pendante, comme pour rappeler l’existence de l’attraction terrestre. » (Page 12)

Construction: des chapitres courts s’enchaînent à un rythme soutenu, alternant le point de vue des enquêteurs et celui des membres du cabaret le Satyre Rieur…Avec pour point de jonction l’histoire de Didier, le policier, et de sa compagne Jenny, acrobate, et leur petite fille de cinq ans, atteinte d’une affection grave. Dès le début, le lecteur s’interroge sur l’opportunité de la connexion entre les meurtres sur lesquels Didier enquête et les péripéties des saltimbanques du cabaret dirigé par Virginie. Mais peu à peu, les éléments du puzzle se mettent en place, révélant une intrigue tout aussi complexe que captivante.

L’intrigue:

Madame Peyrat, propriétaire de gîtes dans la région de Sarlat, dans le Périgord noir, vient déclarer la disparition de Julia Lorenz, une jeune touriste allemande…Disparition à rapprocher d’autres cas similaires de disparitions de touristes allemandes signalées les semaines précédentes. Fugues? Eloignements volontaires pour recommencer sa vie ailleurs, « phénomène de plus en plus répandu dans nos sociétés en quête de sens »?

24 heures plus tard. Le corps est retrouvé dans un coin inaccessible de la montagne. Nul doute n’est plus permis. Il s’agit bien d’un meurtre mais l’assassin n’a rien laissé derrière lui: pas d’objets compromettants, pas de vêtements, pas d’empreintes, pas de traces biologiques d’aucune sorte. Seul un corps complètement nu. La seule certitude dont dispose la police pour commencer ses investigations: la jeune femme a été torturée…Et la découverte d’un charnier de corps présentant tous les mêmes caractéristiques: scalp, doigts coupés, crevasses étranges sur l’abdomen…

Quel lien entre ces trois femmes, mis à part leur nationalité et leur profil d’aventurières écolo? Un rapport avec les quatre autres corps à l’état de squelettes bien plus anciens, probablement aux alentours des années 1940? Didier, qui dirige l’enquête, est bien conscient que l’établir leur permettrait de trouver une explication à ce charnier.

Dans le même temps, Luna, sa compagne, désespérée de voir leur fille de cinq ans dépérir à vue d’oeil, et refusant l’inéluctable, est prête à tout pour sauver l’enfant, y compris avoir recours à Aïna Saita, célèbre guérisseuse reiki japonaise, malgré son scepticisme. Didier ne se doute pas que cette terrible affaire le mènera sur des chemins périlleux, le poussant dans ses plus extrêmes retranchements.

Les personnages:

  • Jenny: acrobate, compagne de Didier, nièce d’Oscar.
  • Didier: enquêteur à la brigade de recherches de Sarlat; ses qualités: opiniâtreté, esprit d’analyse, logique implacable; guerrier exécrant les injustices.
  • Virginie: propriétaire et fondatrice du cabaret le Satyre Rieur; compagne d’Oscar; chanteuse, chorégraphe et directrice artistique.
  • Guillaume: responsable de la régie, de la maintenance, homme à tout faire du cabaret, surnommé le Logisticien.
  • Oscar: oncle de Jenny; magicien.
  • Emilie: danseuse; incarne la douceur, la bonté à l’état pur, la candeur.
  • Carole: danseuse; soeur jumelle d’Emilie, dont elle incarne l’opposé: croqueuse d’hommes, peut se montrer cruelle.
  • Clémence: collaboratrice de Didier; esprit d’analyse très performant, très rigoureuse.
  • Serge Goupil: directeur d’enquête; faciès de rugbyman; enquêteur acharné, persévérant, n’hésitant pas à utiliser tous les moyens possibles pour résoudre une enquête.
  • Aïna Saita: guérisseuse reiki japonaise; passeuse des âmes en déroute.

Les lieux:téléchargement (2)

Le sens du détail sans en faire trop donne aux décors un réalisme discret très appréciable.

Scène de crime: descriptions sobres, vocabulaire précis et imagé: « Une clairière à flanc de colline, isolée et inaccessible par voie carrossable. Le relief s’apparentait à celui de Domme: des falaises, des forêts, des champs, des prairies…Avec en prime une densité de grottes, de sites troglodytiques et de vestiges préhistoriques inégalée. » (Page 72) =>Terrain qui complexifie les investigations de la police.

Le Satyre Rieur: lieu dans lequel se déroule une grande partie du roman, abritant les artistes tous liés à Virginie, non par leur fonction, mais par leur passé douloureux et leur implication dans la pratique du reiki mise au point par Virginie. Le cabaret, installé dans une ancienne ferme périgourdine habilement restaurée, bénéficie d’un décor soigné, luxueux sans ostentation: « Toute son architecture intérieure avait été revue. Elle s’étalait sur deux niveaux reliés par un large escalier aux marches arrondies et balustrades à volutes en fer forgé. La décoration avait été étudiée dans ses moindres détails pour suggérer la féerie et mettre en valeur la scène: des moquettes ocre, un plafond sombre, des chandeliers muraux, de grands miroirs dorés, plusieurs statues d’un satyre rieur. » (Page 21) =>Un lieu qui invite à la magie et à la rêverie occultant l’envers du décor, tissé des jalousies et des violentes disputes entre ses membres.

Périgord Noir: le choix de cette région n’est pas seulement motivé par sa parfaite connaissance de l’auteur qui y est né et y a grandi. C’est également sans doute parce que l’environnement se prête admirablement à l’intrigue: « En hiver, la fureur de sa faune, les craquements, les glapissements, les hurlements sauvages s’exacerbaient en un souffle pestilentiel prêt à déferler au milieu de ses bois denses et enténébrés…Le mur de roche était criblé d’alvéoles profondes et de niches creusées par la main de l’homme. Autant de cachettes pour une ombre moisie guettant sa future victime. » (Page 38).

En conclusion:

Avec Reikiller, Laurent Philipparie propose un roman riche et original dont l’intrigue, construite sur la pratique du reiki, méthode de soins japonaise fondée sur des soins par imposition des mains, dont la philosophie dérivée du bouddhisme était sensée guérir toutes sortes d’affections, y compris les maladies les plus graves. L’auteur ne porte aucun jugement sur cette technique, sans négliger pour autant son impact psychologique et énergétique. Il se contente de l’utiliser pour étayer son intrigue. Libre au lecteur d’approfondir ou pas les bribes évoquées dans le roman. 

Le +: une des données majeures d’un bon roman policier est de restituer avec soin le contexte de l’enquête avec le plus de réalisme possible, de sorte que le lecteur s’immerge totalement au point de s’imaginer dans la peau des enquêteurs et ressentent les difficultés rencontrées: « Le cadavre d’une vacancière retrouvé sur l’un des pôles touristiques les plus attractifs de la région donnait une nouvelle ampleur à l’affaire. Les répercussions médiatiques et les pressions politiques réclamant une résolution rapide ne tarderaient pas. » (Page 73).

Laurent Philipparie évoque, toujours avec le ton juste, sans porter de jugement, les différents aspects d’une enquête sur un ou plusieurs meurtres, avec lesquels le lecteur est rarement familiarisé. Ajoutant la vraisemblance des procédures de police scientifique, ce qui signifie que les résultats n’arrivent jamais dans l’heure qui suit, ni le jour même, mais des jours, voire des semaines plus tard: « -Et les quatre ogives récupérées dans le sol? interrogea doctement le major. -Elles sont à l’INPS de Toulouse. D’ici une semaine, on saura le calibre, de quel canon elles ont été tirées. Et s’il est répertorié dans nos fichiers.=>Immersion totale dans une véritable enquête même si l’histoire est fictive. Les techniciens ne sont pas des magiciens et la science a ses limites.

Le +: l’histoire de Reikiller prend ses racines dans le passé trouble de l’Occupation pendant la seconde guerre mondiale jumelée à la pratique du reiki, débouchant sur une intrigue riche et originale, s’appuyant sur des scènes d’action rythmées, bien ficelées. Donnant une ampleur inaccoutumée et profonde au roman. Un véritable coup de coeur…

Citations:

« Virginie était persuadée que la conscience générait des maladies ou des traumatismes afin de nous interpeller sur les obstacles à notre épanouissement. Une entorse au poignet indiquait un manque d’assurance lors de l’action. Une crise de foie traduisait une difficulté à gérer ses émotions. » (Page 25).

« Tout en respectant les séquences de la musique de fond, car celle-ci intervenait aussi dans cette étrange thérapie, elle positionna ses mains au-dessus de sa nouvelle patiente, ciblant successivement chacun des sept chakras: couronne, troisième oeil, gorge, coeur, plexus solaire, sacré et racine. Elle disait rouvrir ces indispensables réceptacles, nettoyer les mauvaises ondes, rétablir sa connexion à l’univers. » (Page 85).

« Les deux gendarmes échangèrent un regard de connivence. Ils étaient sur la même longueur d’onde. Acculés, laminés par une sorte de rouleau compresseur, la roue crantée du mal venait de labourer leur esprit. Son empreinte ne disparaîtrait jamais. Au mieux, elle s’atténuerait quand les coupables seraient derrière les barreaux. Chacun s’efforçait de lisser son émotivité et de contrôler ses réflexes professionnels. » (Page 101).

« Virginie se lança dans un étrange sermon. S’appuyant sur les articles de presse et les éléments communiqués dix jours auparavant par Jenny, elle leur affirma que les événements terribles de ces dernières semaines étaient l’expression visible d’un conflit énergétique sous-jacent, celui du bien opposé au mal. Le premier visant à élever l’âme sur la voie du mieux-être, le second cherchant, à l’inverse, à la faire régresser dans sa forme la plus primaire, la plus vulnérable. Selon elle, les victimes n’avaient pas été choisies au hasard, mais en raison de leur éveil spirituel et de leur aptitude à se réconcilier avec la nature. » (Page 180).

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