Publié dans Agitation politique, éditions De Borée, cadavre, crime, enquête criminelle, Passion polar historique

Passion polar historique: Au Bal des Muscadins, Sylvain Larue.

Seconde enquête de Léandre Lafforgue dans le Paris de 1849, période trouble et instable de notre Histoire.

L’auteur:

téléchargementPour une fois, je laisse à l’auteur le soin de se présenter lui-même:

Mes études et mon parcours pro : bac à 16 ans, études supérieures loupées pour raison de santé, déviation à 22 ans vers une formation en apprentissage d’imprimeur qui m’a conduit à travailler dans le papier (photocopies, reprographie, mise en forme de documents, etc…) J’aimerais bien bifurquer vers un boulot plus proche de mes travaux, devenir généalogiste professionnel, par exemple, ou obtenir une VAE d’histoire.
Mes origines : à l’instar de Léandre, je suis Gersois aux racines italiennes – par ma mère – sauf que mon père, lui, est un Marseillais aux racines briardes. Subtil mélange ! 🙂 Je suis particulièrement attaché à ma région natale, difficile à situer pour beaucoup de gens (je me contente en général d’évoquer Toulouse, ce qui est plus parlant), et c’était pour moi naturel que de mettre un minimum ma terre à l’honneur dans mes romans, car, comme tout département très rural, le Gers est souvent moqué par les citadins.

Ecriture : avant les romans policiers historiques, j’étais spécialisé (je le suis toujours, du reste) dans des sujets très réjouissants : les faits divers, les crimes célèbres, la peine de mort en France (mon prochain livre sur le sujet, la biographie d’un bourreau ayant exercé sous l’Occupation, paraîtra d’ailleurs en mars prochain). C’est parce que j’avais accumulé une connaissance assez importante en la matière qu’Anthony Frot, mon ancien éditeur et grand ami, m’a conseillé d’opter pour la voie de la fiction policière sur base historique, arguant que j’avais suffisamment de style et d’imagination pour créer une série qui tiendrait la route. Et je ne le regrette pas ! Le quatrième tome est en cours de rédaction, et le cinquième suit juste derrière !

Le roman:

Au Bal des Muscadins a été publié par les éditions De Borée en 2017. C’est le second volet consacré aux enquêtes de Léandre Lafforgue. Le style est fluide, plaisant, soigné au point d’être parfois un peu précieux: « Pendant ce temps, sans songer le moins du monde au fait qu’elle déblatérait des propos sans intérêt, Hermance laissait libre cours à la cataracte de son aigreur. Léandre, lui aussi, tâchait de supporter l’inanité du monologue, mais sa patience arrivait à ses limites et il se dit que cela faisait quelque temps qu’il n’avait pas remis l’acariâtre gueuse à sa place… » (Page 250). La progression du récit est assez lente, les scènes étant émaillées de nombreux détails.

Humour: Certaines situations cocasses apportent au roman une touche de légèreté bien agréable; par exemple, quand Issy-Volny, inspecteur de police principal très imbu de lui-même et de ses fonctions prend le procureur pour un vulgaire voleur! L’interrogatoire du cousin de Louis-Philippe par le même inspecteur rappelle les dialogues des vaudevilles.

L’intrigue:

Février 1849. Le Tout-Paris de la Seconde République se presse place Vendôme afin de participer à un événement exceptionnel: le Bal des Muscadins, prestigieuse soirée costumée à la mode des Incroyables et des Merveilleuses de 1795 organisée par Jacques Lazare, riche collectionneur et bibliophile. Goupil, responsable de la sécurité, y accompagne son maître, le prince-président Bonaparte.

Alors que la fête bat son plein, le prince de Senlis provoque un scandale en souffletant l’organisateur. C’est alors que l’on découvre que le mannequin censé figurer Louis XVI est en réalité un vrai cadavre, qui plus est décapité de frais. Bonaparte investit Lafforgue du statut d’enquêteur officiel afin d’assister la police dans son enquête. A qui appartient le corps? Où se trouve la tête? Et pourquoi une telle mascarade?

Une patrouille de police découvre un corps de cire affublé d’une vraie tête, dans la tour Saint-Jacques, dernier vestige de l’église de la Boucherie, détruite pendant la Révolution. Que signifient les lettres ZBD tracées sur le front de la victime? Ont-elles été tracées post-mortem? Et que penser de la disparition d’un ouvrage supposé de la main de Robespierre, intitulé Discours sur l’idéal et le Culte de l’Etre Suprême, que Jacques Lazare conservait dans un tiroir secret de la table de travail de sa bibliothèque. Qui savait l’y trouver? Et qui se serait introduit chez lui?

Les cadavres décapités et les têtes commencent à fleurir aux quatre coins de Paris. S’agit-il du même assassin agissant selon un mobile identique? Léandre Lafforgue, allias le Goupil, se retrouve mêlé à une affaire complexe, prenant ses racines dans les événements survenus à l’époque de la Révolution. Une intrigue intéressante bien que le déroulement du récit, suivant nombre de méandres et de détours, ne soit pas linéaire, et que parfois ces digressions se révèlent ennuyeuses.

Les personnages:

  • Léandre Philippe Lafforgue: jeune gascon passionné de théâtre, né en 1826; yeux dorés qui deviennent jaunes lorsqu’il est en colère; assez grand, costaud, pratique régulièrement une activité physique qui le maintient en forme; caractère impulsif, emporté, vouant un culte à la bonne chère et la bonne chair; aime pourtant la solitude; sens aigu de l’observation, d’intuition et de observation, très bon enquêteur.
  • Jacques Lazare: bibliophile collectionneur de livres; belle prestance, intelligent; a un frère prénommé Jean.
  • Louis-Joseph de Senlis: cousin de Louis-Philippe, petit-fils de Philippe Egalité; riche oisif célibataire détestant le régime républicain, lâche, hypocrite, fourbe tyrannique; bibliophile averti.
  • Pierre Jules Baroche: procureur général, ancien avocat d’affaires.
  • Rodolphe Issy-Volny: inspecteur principal de police brillant par son inefficacité; malhonnête, arriviste, prompt à tourner sa veste; déteste Lafforgue.
  • Charles Leterrier: ami et allié de Léandre; opiniâtre, ne lâche jamais une enquête; marié.
  • Jules Dumont: jeune comédien âgé de 20 ans; colérique; fils d’un marchand de bois.
  • Jean Lazare: frère de Jacques; musicien.
  • Elinor Sandford: compagne de Jacques Lazare.
  • Rhynn: soeur d’Elinor; jeune femme très attirante.
  • Lucien Descours: libraire, propriétaire de La Main de Gloire.
  • Pierre-Louis Canler: sous-chef de la police de sûreté; récipiendaire des informations collectées pour les affaires en cours.
  • Alessandro Prazzoli: père de Léandre; aussi curieux et avide de réponses que son fils.
  • Les Malappris: bande de gamins des rues dont Léandre est le « frère » et qui, à l’occasion, l’aident dans ses enquêtes.

Reconstitution historique:

Le cadre dans lequel se situent les enquêtes de Léandre Lafforgue bénéficie d’une documentation très pointue, jusque dans les moindres détails: les costumes, les habitudes alimentaires, la vie quotidienne, toute une foule de détails précis qui forment le canevas tangible et consistant sur lequel s’appuie l’intrigue, lui donnant ampleur et profondeur. 

  • Le Bal: « Un bal en l’honneur de la vie, un bal pour se remémorer l’existence des trépassés, des victimes de la Terreur, en particulier de ses confrères conventionnels, toutes factions politiques confondues, comme pour leur offrir une chance de résurrection: on est Lazare ou on ne l’est point! » (Pages 42-43)
  • Le quotidien de la police: « Cette fin du mois de février était chargée. Outre les crimes de sang et les vols qui étaient le pain quotidien de ces hommes de loi, il fallait leur ajouter les affaires extraordinaires avec leurs inévitables répercussions…Ensuite, les cas d’agression aux personnes et aux biens n’avaient jamais été aussi fréquents que depuis la Révolution, et les mouchards faisaient des heures supplémentaires…Leurs renseignements devaient être rédigés, vérifiés et rémunérés: encore du travail en perspective! » (Pages 142-143).
  • Autres temps, autres méthodes d’investigations: les innombrables concierges officiant dans la capitale constituent les yeux et les oreilles les plus fiables à qui sait les écouter et les récompenser.
  • Contexte social: février 1849. Instaurée en février 1848, la seconde République existe depuis un an; elle fait suite à la monarchie de Juillet, nom donné au règne de Louis-Philippe, intronisé roi des Français après les émeutes qui ont secoué le pays en 1830. Elle s’achèvera le 2 décembre 1852 avec l’accession au pouvoir du prince Louis-Napoléon Bonaparte qui se fait proclamer empereur. Couronnement qui fut loin de remporter tous les suffrages. Notamment des Bourbon qui ne perdent pas l’espoir de remonter un jour sur le trône de France: « N’oubliez pas que mon titre ne m’autorise pas toutes les libertés! Les monarchistes demeurent très puissants et très acharnés à discréditer la République. Alors, de grâce, ne leur fournissons pas les bonnes cartes! » (Page 263).

En conclusion:

Dans Au Bal des Muscadins, la vie privée de Léandre Lafforgue, contrairement au premier tome L’oeil du Goupil , est ici à peine esquissée. En effet, le récit est presque entièrement dévolu à l’enquête et aux évènements y afférant. Evolution tout à fait logique: maintenant que nous sommes familiarisés avec son environnement familial et personnel, que nous sommes devenus pour ainsi dire intimes, il n’est pas inintéressant de découvrir Léandre dans son contexte professionnel. 

Le bémol: les digressions un peu trop longues, auxquelles j’ai fait allusion un peu plus haut, nuisent à la fluidité du récit. On a parfois l’impression que l’auteur fait du « remplissage », ce qui est bien dommage car le roman possède suffisamment de qualités intrinsèques pour avoir recours à ce procédé.

Le +: la collaboration forcée entre Goupil et l’inspecteur Issy-Volny donne lieu à des scènes comiques tout à fait délicieuses.

Roman érudit, très bien documenté en ce qui concerne la bibliophilie, la littérature et la culture de l’époque, ainsi que les nombreuses allusions à la période révolutionnaire, Au Bal des Muscadins propose un habile mélange de fiction et de réalité en intégrant dans l’histoire des événements  qui se sont réellement passés (le procès des assassins du Grand Salon), ainsi que des échos historiques, comme l’épidémie de choléra qui durera de mars à septembre 1849 et fera environ 20 000 morts, soit 2% de la population. Passionnante immersion dans les méandres d’une époque charnière de notre histoire.

Citations:

« L’endroit, comme tous les lieux où se pressait ce monde qu’on qualifiait mal à propos de « beau », sentait le mensonge, les rumeurs assassines, les complaisances de mauvais aloi…Les intrigues des grands de ce monde, si l’on devait résumer. » (Page 30).

« C’est bien là l’une des différences entre vous et moi, monsieur. J’ai des amis, vous des connaissances. Les premiers se font toujours par sympathie, les secondes souvent par intérêt. » (Page 74).

« Non, rien n’est acquis dans ce monde: l’artiste, si prolifique soit-il, s’expose toujours à devenir un souvenir impalpable, presque invisible et inconnu…C’est à se demander ce que recèlent leurs âmes, au fond. Quelles furent les conditions pour que certains pussent acquérir les clés de l’immortalité tandis que d’autres étaient plus ou moins injustement chassés de la mémoire collective? » (Page 86).

« Ici, mon cher, il n’est point uniquement question de bibliophilie. J’adore les livres, cela va de soi, je les chéris tels les trésors qu’ils sont. Mais je les vénère aussi bien pour la connaissance qu’ils possèdent, les années de savoir qu’ils contiennent, les croyances du temps jadis ou les mystères irrésolus qu’ils détiennent. » (Page 122).

 

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