Publié dans angoisse, archéologie, aventures, crime, disparition inexpliquée, Le Livre de Poche, Littérature américaine, malédiction, mystère, Passion polar historique

Passion polar historique: La Malédiction des Pharaons, Elizabeth Peters.

Prêts pour un second passionnant voyage dans le temps en compagnie d’Amélia et de son insupportable mari? C’est par là…

L’auteur:

Elizabeth Peters, pseudonyme de Barbara Mertz, née le 29 septembre 1927 à Canton dans l’Illinois, décédée le 8 août 2013, est une romancière américaine auteur de romans policiers historiques, de thrillers sous le pseudonyme de Barbara Michaels dont aucun n’a été traduit en français, et de deux ouvrages sur l’égyptologie. Dès son jeune âge, elle s’est passionnée pour l’archéologie, avec une prédilection pour l’Égypte ancienne. Titulaire d’un doctorat en égyptologie, elle a sillonné tous les sites antiques, d’Abou Simbel au Delta du Nil. Elle est l’auteur de plusieurs manuels universitaires de référence sur le sujet. Pour faire découvrir ce monde fascinant, elle a un jour l’idée de recourir au roman policier. Tout naturellement, elle choisit de situer ses intrigues à la période des grandes découvertes de Petrie ou de Maspero, au tournant du XXe siècle. C’est ainsi que naquit, aux États-Unis, un inoubliable trio romanesque qui allait conquérir des millions de lecteurs dans plus de douze langues : l’indomptable Amelia Peabody, son mari, le savant et coléreux Emerson (Radcliffe), et leur imprévisible et précoce rejeton, Ramsès.

Le roman:

La Malédiction des Pharaons, The Curse of the Pharaohs dans la version originale parue en 1981, a été publié par les éditions Librairie Générale Française en 1998. Le style, un tant soit peu emphatique, est recherché mais tout à fait lisible, avec un tant soit peu d’attention: « L’article que je cherchais n’était plus en première page du journal, bien qu’il eût occupé un certain temps cette position. Je ne puis mieux faire que de rapporter ce que je savais de l’affaire à ce moment-là, comme si j’écrivais une œuvre de fiction ; en effet, si cette histoire n’avait été publiée dans les pages du vénérable Times, j’aurais pu croire qu’il s’agissait d’une ingénieuse intrigue inventée par Herr Ebers ou M. Rider Haggard, auteurs dont j’étais, je l’avoue, très friande. J’implore donc votre patience, cher lecteur, si nous commençons par un sobre exposé des faits. C’est une étape nécessaire pour vous faire comprendre les événements ultérieurs ; et je vous promets que vous aurez, le moment venu, votre lot de sensations. »(Page 278)… »Une fois encore, mon fils – exaspérant mais utile – me débarrassa d’une invitée indésirable. Nos visites à Ramsès, juste avant le coucher, étaient une tradition bien établie. Emerson lui faisait la lecture, et j’avais également mon rôle à jouer. Ce soir, nous avions du retard, or la patience n’est pas la vertu cardinale de Ramsès. Estimant avoir attendu suffisamment longtemps, il venait donc nous quérir. J’ignore comment il avait trompé la vigilance de sa nounou et des autres domestiques, mais il avait élevé l’évasion au rang d’œuvre d’art. Les portes du salon s’ouvrirent toutes grandes, avec une telle force qu’on se fût attendu à voir paraître un Hercule. »(Page 295).

Fil rouge: l’humour au travers des relations explosives entre Amélia et son mari dans des dialogues et des situations comiques:  » Elle a promis de revenir en Égypte avec nous une fois que les enfants seraient à l’école.— Oui, mais pour quand est-ce ? Elle produit les bébés à la chaîne et ne paraît nullement décidée à s’arrêter. J’aime beaucoup mon frère et sa femme, mais la procréation ininterrompue de petites Evelyn et de petits Walter me paraît un peu excessive. L’espèce humaine…Dès que l’espèce humaine intervient dans la conversation, je cesse d’écouter. Emerson est capable de disserter sur ce sujet pendant des heures. » (Page 320)… »Calmez-vous, Emerson, lui dis-je. Vous aurez une crise cardiaque, un de ces quatre matins. Nous aurions dû prévoir cela ; voilà déjà plusieurs jours que le problème se serait présenté, si votre personnalité charismatique n’avait pas pesé sur les ouvriers. La bouche d’Emerson se referma avec un claquement sec.— Me calmer ? répéta-t-il. Me calmer ? Je ne saurais dire ce qui vous fait supposer que je ne suis pas parfaitement calme. Veuillez m’excuser un moment, mesdames. Je m’en vais parler calmement à mes hommes et leur faire observer calmement que, s’ils ne se préparent pas sur-le-champ à reprendre le travail, je les assommerai calmement, l’un après l’autre. Sur ce, il s’éloigna d’un pas lent et majestueux. Quand je le vis ouvrir la porte de notre chambre, je me perdis en conjectures ; puis je compris qu’il empruntait l’itinéraire le plus direct en passant par la fenêtre. Je me pris à espérer que, dans son irrésistible avancée, il n’irait pas marcher sur le chat ou piétiner mes affaires de toilette. »(Page 466)

L’intrigue:

1892. Cinq années se sont écoulées depuis les événements racontés dans Un Crocodile sur un Banc de Sable. Amélia et Radcliffe, désormais mariés et parents d’un petit garçon âgé de quatre ans, vivent en Angleterre, dans le Kent, non loin de Chalfont Castle, propriété d’Evelyn où elle vit avec Walter, son mari, et leurs enfants. Exceptée une saison de fouilles à Saqqarah quatre ans plus tôt, ils ont abandonné l’archéologie de terrain, à leur grand regret.

Quelques mois plus tôt, le riche mécène Henry Baskerville, qui a découvert une tombe à Louxor, meurt dans des circonstances mystérieuses. Aussitôt, la presse évoque la malédiction qui pèse sur tous ceux qui oseraient profaner la tombe: « Au cours de la semaine suivante, l’un des gentlemen qui avaient assisté à l’ouverture officielle de la tombe fut terrassé par une forte fièvre ; et, à Karnak, un ouvrier tomba d’un pylône, se brisant le cou. « La Malédiction fait de nouvelles victimes ! proclama le Daily Yell. À qui le tour ? » Après la chute de l’homme du pylône (où il était occupé à prélever des fragments de sculptures pour les vendre aux marchands d’antiquités illégales), ses collègues refusèrent d’approcher de la tombe. Depuis le décès de sir Henry, les travaux étaient au point mort. » (Page 285)

C’est alors que lady Baskerville demande à Emerson de reprendre les rênes du chantier et d’élucider la mort de son mari. Les deux époux saisissent l’occasion de renouer avec leur passion pour l’égyptologie et l’aventure. Sans se douter des obstacles qu’ils devront surmonter et des dangers qu’ils devront affronter afin de résoudre cette nouvelle énigme: « Quelqu’un était déterminé à empêcher Emerson de poursuivre la tâche entreprise par lord Baskerville. Que la mort de sir Henry eût fait partie de son plan, ou que le scélérat anonyme eût exploité un tragique accident à des fins personnelles inavouables, je ne pouvais encore le déterminer. Ce dont j’étais sûre, en revanche, c’est que mon mari serait la cible de nouvelles tentatives. « (Page 334)

Et où est passé Alan Armadale, archéologue en titre de sir Henry, disparu après la mort de son mécène? Est-il l’assassin ou une autre victime?

Les personnages:

  • Amélia Peabody: narratrice; cadette de six enfants beaucoup plus âgés, 32 ans au début de l’histoire; riche, déterminée, célibataire et heureuse de l’être, excentrique, non conventionnelle, se moque du qu’en-dira-t-on, caractère indomptable, drôle et attachante, audacieuse et moderne, ne se laisse impressionner par très peu de choses =>On l’aime d’emblée (c’est d’ailleurs le personnage récurrent le plus apprécié).
  • Radcliffe Emerson: égyptologue anglais de renom; très mauvais caractère, râleur, exigeant, bougon, impulsif, mais au fond un cœur d’or.
  • Karl von Bork: épigraphiste de Sir Henry; efficace et compétent.
  • Milverton: photographe de talent; très séduisant, silhouette athlétique.
  • Cyrus Vandergelt: égyptologue amateur enthousiaste et riche mécène.
  • Lady Baskerville: veuve de Sir Henry, de basse extraction sociale; femme froide, méchante et manipulatrice, prête à tout pour atteindre ses objectifs
  • Kevin O’Connell: journaliste anglais; suit les fouilles de près.
  • Mary: dessinatrice talentueuse, moins fragile que son apparence le laisse supposer.
  • Mme Berengeria: mère de Mary; dépressive et alcoolique.

Les lieux:

Paysages: des pauses dans le déroulement rythmé du récit afin de donner un aperçu des décors somptueux et envoutants dans lesquels se déroule l’histoire : »Après avoir grimpé un raidillon rocheux, nous atteignîmes le sommet du plateau. Là, nous marquâmes une pause, le temps de reprendre notre souffle et d’admirer la vue. Devant nous s’étirait une vaste étendue de rocaille désolée ; derrière et en dessous, la vallée du Nil se déployait comme une toile de maître. Le temple de la reine Hatasu, mis au jour par Maspero, évoquait une maquette d’enfant. Au-delà du désert, les champs bordaient le fleuve à la manière d’un ruban vert émeraude. L’air était si limpide que nous distinguions les silhouettes miniatures des pylônes et des colonnes des temples de la rive est. Au sud se dressait le grand pic, en forme de pyramide, connu sous le nom de « Déesse de l’Ouest », celle qui garde les sépulcres antiques. »… »Enfin nous atteignîmes le sommet du plateau, et notre progression devint plus aisée. Eussions-nous eu le loisir d’en profiter, la vue était magnifique. Le large bras du fleuve était taché de cramoisi par le soleil couchant. Les falaises, à l’est, se teintaient de rose et de mauve ; au-dessus, le ciel s’était assombri, manteau bleu cobalt semé de minuscules diamants. Ali Hassan se dirigea vers l’ouest, où le soleil, énorme globe de cuivre embrasé, n’allait pas tarder à disparaître ; alors l’obscurité s’abattrait comme une chauve-souris aux ailes noires car, dans ces contrées, le crépuscule ne dure guère. J’essayai de me rappeler quand la lune devait se lever. Cette partie du plateau ne m’était pas familière : une étendue désertique de rocaille aride, sillonnée d’innombrables crevasses et ravines. » (Page 451)

Baskerville House: la maison que lord Baskerville a érigée non loin du chantier: « À l’instar de nombreuses habitations orientales, elle était édifiée autour d’une cour intérieure, à laquelle donnait accès une large barrière ménagée au centre de l’un des côtés. La demeure, bâtie en briques ordinaires, était d’une taille pharaonique, et lord Baskerville s’était plu à la décorer dans le style de l’ancienne Égypte. Ainsi, la barrière et les fenêtres étaient coiffées de linteaux en bois sur lesquels étaient peints des dessins égyptiens aux couleurs vives. Sur un côté, une rangée de colonnes, enlacées de vigne vierge et couronnées de chapiteaux à motifs de lotus dorés, supportaient une agréable loggia ombragée, où orangers et citronniers poussaient dans des pots en terre cuite. Une fontaine proche dispensait de l’eau pour les palmiers et les figuiers. Sous le soleil éclatant, l’ornementation archaïque nous rappelait l’aspect qu’avaient dû présenter les palais de jadis, avant que le temps ne les eût réduits à l’état de décombresLes barrières en bois pivotèrent sur leurs gonds à notre approche, et nous pénétrâmes directement dans la cour intérieure. Sur trois côtés, des piliers soutenaient une galerie ouverte, en forme de cloître, surmontée d’un toit de tuiles rouges. Toutes les pièces ouvraient sur ce portique. .. Un certain nombre de chambres à coucher, modestes mais confortables, étaient destinées aux membres de l’expédition et aux visiteurs. Une suite plus spacieuse, avec petite salle de bains attenante, avait été réservée à lord et à lady Baskerville. Karl nous informa que la chambre du lord était désormais la nôtre et que j’y trouverais toutes les commodités désirables. Une partie de la pièce avait été aménagée en cabinet de travail, avec une longue table et une bibliothèque remplie d’ouvrages d’égyptologie. »(Page 323)

En conclusion:

La Malédiction des Pharaons propose une délicieuse immersion au cœur de l’ambiance particulière des chantiers de fouilles dans l’Egypte de la fin du XIXe siècle: les superstitions des villageois, la façon dont le Service des Antiquités était géré, les impondérables dûs aux divers incidents comme éboulis, destruction volontaire de tombes, vols d’objets, convoitises, querelles entre spécialistes, caprices des riches mécènes qui faisaient alors la pluie et le beau temps, concurrence entre les égyptologues. Elizabeth Peters fait revivre tout un monde avec beaucoup d’intelligence et de finesse.

Le +: les nombreux clins d’œil ou apostrophes au lecteur: une subtile façon de le faire participer à l’aventure, à l’intégrer à l’intrigue: « Là encore, je renvoie le lecteur aux publications techniques qui paraîtront prochainement. Nous eûmes une discussion animée et extrêmement plaisante sur des matières d’ordre professionnel. Mary, elle aussi, parut y prendre plaisir ; ses timides questions se révélèrent fort pertinentes. Visiblement à regret, elle finit par se lever en déclarant qu’elle devait rentrer. »(Page 505).

Un second tome très vivant, une lecture agréable et instructive. Un voyage dans le temps qui ne vous laissera pas indifférent.

Citations:

« Il s’était avéré impossible de partir aussi rapidement que l’avait espéré, dans son optimisme, le cher Emerson. Tout d’abord, les vacances approchaient, et il eût été inconcevable de quitter Ramsès quelques jours seulement avant Noël. Nous passâmes donc les fêtes chez Walter et Evelyn ; ainsi, lorsque nous fîmes nos adieux, le lendemain de Noël, le chagrin d’Emerson à l’idée de se séparer de son fils était-il tempéré par les effets d’une semaine d’excitation juvénile et d’indulgence coupable. Tous les enfants, à l’exception de Ramsès, avaient vomi au moins une fois ; Ramsès, pour sa part, avait mis le feu au sapin de Noël, terrorisé la nourrice en exposant sa collection de gravures de momies (dont certaines dans un état de décrépitude avancée)… Mais un volume entier ne suffirait pas à décrire les innombrables activités de Ramsès. Le matin de notre départ, son visage enfantin présentait un aspect horrifique, car il s’était fait cruellement griffer par le chaton de la petite Amelia en essayant de lui apprendre à remuer le pudding avec sa patte. Dans la cuisine où résonnaient encore les cris outrés de la cuisinière et les feulements du chaton, il avait expliqué que, dans la mesure où tous les membres de la famille avaient le droit de remuer le pudding en guise de porte-bonheur pour l’An neuf, il avait estimé de simple justice que les animaux domestiques participassent également à la cérémonie. »(Page 304)

« Lors de mon premier séjour en Égypte, j’avais voyagé en dahabieh. Ceux qui n’ont point expérimenté ce mode de locomotion peuvent difficilement en concevoir l’élégance et le charme. Mon bateau était équipé de tout le confort moderne, y compris un piano à queue dans le boudoir et un salon à ciel ouvert sur le pont supérieur. Combien d’heures bénies avais-je passées là-haut, sous les voiles gonflées par le vent, à boire du thé et à écouter les chants des marins tandis que, lentement, défilait à mes côtés l’extraordinaire panorama de la vie égyptienne : villages et temples, palmiers, chameaux, saints ermites en équilibre précaire sur des piliers ! Qu’étaient doux mes souvenirs de ce voyage, qui avait eu pour point d’orgue mes fiançailles avec mon futur époux ! Avec quel bonheur aurais-je renouvelé cette merveilleuse expérience ! »(Page 318)

« En temps normal, la porte de la remise était cadenassée. Le but de l’homme était manifestement le vol, voire pis. Décidée à donner l’alerte, je me ravisai à la pensée qu’un cri avertirait le félon et favoriserait sa fuite. Je décidai donc de le capturer moi-même. Je me jetai à plat ventre, dans le plus pur style Peau-Rouge, et m’avançai en rampant. J’attendis d’avoir atteint l’abri du mur pour me remettre debout. Entendant des voix à l’intérieur de la cabane, je m’étonnai de l’impudence des voleurs. Ils étaient au minimum deux, à moins que le gredin balafré ne parlât tout seul. Ils conversaient en arabe, mais je ne pus saisir qu’un mot par-ci par-là.Je pris une profonde inspiration et me ruai dans la cabane en faisant tournoyer mon ombrelle. J’entendis un grognement de douleur tandis que le manche en métal heurtait quelque chose de mou. Des mains m’agrippèrent. Tout en me débattant, je frappai derechef. Mon ombrelle me fut arrachée. Nullement impressionnée, je décochai un solide coup de pied dans le tibia de mon agresseur. J’étais sur le point d’appeler à l’aide quand une voix me pria de cesser. Une voix que je connaissais. »(Page 447)

« La nuit était bien avancée lorsque me parvint le premier bruit trahissant une présence. Ce n’était que le crissement d’un caillou contre la pierre, et un animal errant pouvait en être la cause ; je me redressai néanmoins, les sens en alerte. Derrière la clôture, à la limite extérieure du cercle de lumière, je perçus, de justesse, un mouvement. En voyant la silhouette ombreuse, furtive, émerger à découvert, je ne pus me défendre de retenir mon souffle. Emmitouflée de la tête aux pieds dans des voiles de mousseline qui couvraient jusqu’à son visage, elle me fit penser à la première apparition d’Ayesha, déesse ou femme immortelle, dans She, le passionnant roman de M. Haggard. Ayesha voilait son visage et ses formes parce que son éblouissante beauté conduisait les hommes à la folie ; le déguisement de cette apparition-là avait un objet plus funeste, mais il inspirait la même crainte superstitieuse, la même terreur. » (Page 526)

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