Publié dans amitié féminine, éditions De Borée, crime, décès d'un enfant, justice, maternité, Passion polar français

Passion polar français: Les Justicières de Saint-Flour, Sylvie Baron.

Un bon polar bien construit autour du thème de la perte d’un enfant, une intrigue diabolique au cœur du Cantal, menée par ses deux personnages féminins tellement attachants…

L’auteur:

Sylvie Baron est romancière, mais également professeur d’économie et gestion, passionnée de littérature, amoureuse des jardins à l’anglaise, de la nature et des grands espaces. C’est pourquoi elle a choisi de s’installer en  Haute Auvergne afin d’y poursuivre son travail d’écriture.

Admiratrice des « grandes dames du crime » comme Agatha Christie, Patricia Wentworth ou Patricia Mac Donald, elle a à cœur de retracer cette atmosphère si particulière des romans dits à énigme avec des personnages forts et  attachants et des intrigues diaboliques.

Ses histoires, proposant des fictions ancrées dans le présent autour de sujets d’actualité, s’inscrivent pour la plupart dans ce territoire authentique et si fort du Cantal. Depuis peu, Sylvie Baron s’essaie au Cosy Mystery avec autant de bonheur que ses autres romans.

Le roman:

Les Justicières de Saint-Flour a été publié en 2012 par les éditions du Bord du Lot, puis réédité en 2022 par les éditions De Borée. Le style est fluide et vif, le ton énergique, je dirais presque vivifiant: « Quand Joséfa rentra chez elle, il faisait nuit, le brouillard s’était levé et les phares trop faibles de sa mobylette parvenaient tout juste à éclairer un minuscule pan de route devant elle. Heureusement, peu de monde circulait sur la Planèze à cette heure tardive et elle connaissait assez bien le trajet pour déjouer les pièges de la chaussée. » (Page 47)

Fil rouge: les différences de statut social entre Alice et Joséfa; la façon différente dont chacune gère son deuil.

L’intrigue:

Un an plus tôt. La fille d’Alice, Kathleen, est mortellement blessée par un chauffard qui, malgré l’enquête de la gendarmerie, n’a jamais été retrouvé. Depuis, Alice mène sa vie comme un automate, s’abrutissant de travail, refusant d’oublier et de faire son deuil.

Le même jour, Lydia, fille de Joséfa, femme de ménage, étrangère au monde d’Alice, a perdu la vie en même temps que son amie Kathleen. Désormais, sa seule motivation, celle qui l’aide à se lever chaque matin, est son désir farouche de retrouver le chauffard assassin et de se venger.

Mais sans indice ni témoignage fiable, comment faire? Joséfa est convaincue que le seul moyen est de collaborer avec la famille de Kathleen. Une collaboration qui, de prime abord s’avère impossible, tant les divergences entre les deux femmes sont criantes. Mais unie par leur désespoir et leur désir de comprendre, elles parviennent à s’accorder.

D’après les trois témoins qu’elles retrouvent, le chauffard aurait fait demi-tour pour repasser sur les deux victimes. Circonstance qui change l’accident en meurtre prémédité. Ce qui n’est pas du tout la même chose! Mais qui, et surtout pourquoi, en aurait voulu aux deux  adolescentes au point de les tuer de sang-froid?  Les deux femmes se lancent dans une enquête à rebours afin de résoudre ce sombre mystère.

Les lieux:

Plateau de la Planèze: un décor sauvage et somptueux en harmonie avec cette sombre histoire: Elle s’était prise d’amour pour cette Planèze ployée et jaunie par le vent, survolée par les majestueux milans qui tournoyaient sans cesse, avec toujours en toile de fond le Plomb du Cantal, lourd et secret. » (Page 100) =>Aussi lourd et secret que le meurtre des deux jeunes filles.

Saint-Flour:  contraste saisissant entre le quartier où vit Alice et l’environnement de Joséfa, une façon subtilement évocatrice de montrer les mondes divergents dans lesquels évoluent les deux enquêtrices: « Elle s’était même demandé ce que pouvait bien faire cette personne dans la vieille ville. Car le quartier de la cathédrale avec ses rues piétonnes, ses commerces chics et ses hautes maison renaissance était l’un des plus huppés de la ville, un quartier de cadres et d’intellectuels aux portails sécurisés, aux maisons élégantes et aux petits jardins en terrasse cossus et intimes. Pas d’immeubles décrépis, pas d’enseignes agressives, pas de SDF, pas de tags sur les murs, rien qu’un monde feutré, civilisé, impersonnel. » (Page 14)

Maison de Joséfa: « Pourtant, bien que petite, l’unique pièce de rez-de-chaussée ne manquait pas de charme avec son vieux cantou en pierre où trônaient une cuisinière à bois et ses nombreux placards cachés derrière des boiseries en merisier. » (Page 48)

En conclusion:

Le +: le ton et des propos modernes, s’appuyant sur une documentation précise, quelque soit le sujet ou le thème abordés par Sylvie Baron. Ici, il s’agit du mouvement punk dont on sent que l’auteur parle en toute connaissance, sans préjuger ni dénigrer, rendant ses personnages crédibles.

On ne peut que se laisser séduire par le combat de ces deux mères durement éprouvées par la perte de leur enfant. L’originalité de Les  Justicières de Saint-Flour est de l’intégrer dans une dynamique de dépassement des préjugés sociaux. Même si Joséfa et Alice évoluent dans des univers radicalement opposés, elles n’en restent pas moins des femmes et des mères malheureuses, amputées à jamais. Et du coup, tout ce qui pouvait les écarter l’une de l’autre n’a plus d’importance. C’est en cela que réside le talent de Sylvie Baron.

Citations:

« Le malheur faisait peur et elle s’était vite rendu compte qu’elle représentait désormais pour toutes ces familles bien pensantes ce qui ne devait jamais arriver ou ce qui n’arrivait qu’aux autres, si bien qu’après le temps nécessaire de la compréhension et de l’amitié, très vite venait le temps de l’oubli, il ne fallait pas parler de ces choses-là, la tristesse n’était pas supportable à long terme, il fallait vite tourner la page du deuil et oublier. » (Pages 16-17)

« Jennifer enrageait, ces petits cons qui n’y connaissaient rien se moquaient du mouvement punk et de ses idées contestataires. Le mépris du ton la froissa plus que les paroles, elle leur fit un doigt d’honneur et s’enfonça dans la rue Marchande. Elle bouillait de rage, ce mec avait du fric, il ne vivait visiblement pas dans une ferme crasseuse avec des parents qui peinaient à joindre les deux bouts. Facile d’être supérieur et méprisant dans ce cas, il ne risquait pas de remettre en cause une société qui le gavait.  » (Page 45)

« Elle s’était tellement repliée sur elle-même depuis le décès de Kathleen qu’elle plus vraiment d’amis. Lui non plus, d’ailleurs, ce drame leur avait montré combien l’amitié était précaire, impossible réellement d’en parler, les gens, même les mieux intentionnés, fuyaient comme la poisse. Il avait bien compris que si on voulait rester dans la course, le seul moyen était de continuer comme avant, de faire comme si rien ne s’était passé. » (Page 134)

« Ne s’attacher à rien pour survivre était devenu sa devise. Elle ne voulait plus aimer, elle ne voulait plus souffrir car sa souffrance était telle qu’elle la remplissait tout entière et qu’il n’y avait en elle désormais plus de place pour quoi que ce soit d’autre et même pas pour un début d’amitié pour cette Alice vulnérable qu’elle aurait voulu protéger. Tiens! Vouloir protéger quelqu’un c’était s’apprêter à souffrir, elle devait faire attention, il était temps que cette histoire finisse et qu’Alice retourne dans son monde à elle, elles n’avaient rien en commun, que cette douleur affreuse, il ne fallait surtout pas s’attacher à Alice. » (Page 151)

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