Publié dans Paris 1900, Passion polar historique

Passion polar historique: Le Tigre et les pilleurs de Dieu, Philippe Grandcoing.

Un bon polar historique, ça vous dit? Alors emboîtez le pas de ce sympathique antiquaire parisien mandé par le chef du gouvernement Clémenceau pour une enquête officieuse sur la disparition d’objets du culte…

L’auteur:

philippe grandcoingPhilippe Grandcoing est un historien et romancier français né le 6 novembre 1968 à Limoges où il a fait ses études jusqu’à l’âge de vingt ans, avant de rejoindre la capitale pour y achever ses études d’histoire. Ce goût prononcé pour cette discipline lui vient de sa famille « où les traces du passé étaient très présentes où on sentait toute l’épaisseur du temps ». Il obtient l’agrégation d’histoire après avoir soutenu une thèse, à l’université Panthéon-Sorbonne, sous la direction d’Alain Corbin, historien français grand spécialiste du 19e siècle, intitulée Les Demeures de la distinction: le phénomène châtelain dans le département de la Haute-Vienne au XIXe siècle. Depuis 1999, il enseigne l’histoire aux classes préparatoires littéraires du lycée Gay-Lussac de Limoges, tout en continuant ses recherches avec une prédilection pour tout ce qui a trait à la justice et aux affaires criminelles.

Le roman:

Le Tigre et les Pilleurs de Dieu a été publié en 2018 par les éditions De Borée, dans la collection Vents d’histoire. Il s’agit du premier tome des enquêtes d’Hippolyte Salvignac, téléchargement (1)antiquaire à Paris. Le Tigre et les Pilleurs de Dieu, roman policier très cultivé et bien documenté, est rédigé dans un style qui coule tout seul, dans une langue soignée utilisant un vocabulaire usuel, parfaitement adapté aux différents personnages. L’équilibre du récit repose sur une juste répartition entre les scènes d’action, les investigations, les scènes de vie privée et les passages narratifs présentant le contexte politique dans lequel il évolue.

L’intrigue:

Novembre 1906. Clémenceau, dit Le Tigre, ministre de l’Intérieur, invite Hippolyte Salvignac, antiquaire respecté, afin de lui confier une affaire délicate: mener une enquête officieuse dans le but de déterminer comment un faux reliquaire a pu se retrouver dans une église de province, comment fonctionne le réseau de faussaires et de pilleurs des biens de l’Eglise et qui sont les intermédiaires. Le rôle de Salvignac consiste à réunir des informations et à les transmettre en toute discrétion à l’inspecteur Lerouet, son contact à la préfecture de police. Bien entendu, en cas de problème, ni vu, ni connu!!

C’est ainsi que Salvignac se retrouve dans le Lot, non loin de la résidence familiale, occasion de renouer les liens relâchés avec son père. Quelques jours plus tard, la colombe eucharistique de l’église de Saint-Michel-de-Bannières est dérobée, objet appartenant aux chefs- d’oeuvre de l’émaillerie médiévale, tout comme le buste reliquaire volé dans l’église de Floirac.  Alors que Salvignac se demande s’il a affaire à

une bande de trafiquants d’art bien organisée et très au fait de la valeur marchande des

buste reliquaire
Buste reliquaire

biens ecclésiastiques, le curé de la maison de Dieu de Saint-Michel-de-Bannières est retrouvé pendu à la cloche de son église, donnant à toute cette affaire une tournure beaucoup plus inquiétante.

Contexte politique et religieux: l’intrigue se situe en 1906, juste après la séparation officielle de l’Eglise et de L’Etat, loi votée par le Sénat le 9 décembre 1905 et entrée en vigueur le 1er janvier 1906, faisant des différentes Eglises des associations de droit privé. Loi qui secoua durablement la société française, notamment par le fait que les ministres du culte ne sont plus rémunérés par l’Etat et que les biens religieux saisis par la République en 1789 restent sa propriété, avec pour conséquence le démantèlement de certaines institutions religieuses.
Philippe Grandcoing restitue avec beaucoup de rigueur et d’authenticité la position délicate, voire périlleuse, du gouvernement concernant la propriété des objets du culte qui, jusqu’en 1905, appartenaient à l’Eglise. « Mais pour l’instant, on ne peut pas faire appliquer la loi de séparation puisque à Rome Sa Sainteté le pape, fort de son infaillibilité autoproclamée, s’y oppose. Une aubaine pour ceux qui ont cru bon de profiter du flou juridique actuel ». (Page 19)

paris 1900
Paris 1900

=>Faille dont l’auteur a profité pour construire son récit avec beaucoup de réalisme, rappelant succinctement dans quel climat explosif baignait la France des années 1900: « Depuis l’affaire Dreyfus, les radicaux avaient entamé une vaste offensive anticléricale sous l’égide d’Emile Combes, qui s’était soldée par l’expulsion hors de France de la plupart des congrégations religieuses, la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican et le vote de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat l’année précédente. » (Page 16).

Les personnages:

  • Hippolyte Salvignac: antiquaire à Paris; 1m70, silhouette un peu empâtée, tempes grisonnantes, visage fin bien dessiné, yeux gris, porte la barbe; cette mission intervient à un moment clé de sa vie, cherchant sa place: « A Martel, il était quelqu’un, un membre d’une communauté, un chaînon dans la dynastie des Salvignac. Il avait fui cela, près de vingt ans plus tôt. Mais, au final, il aimait bien ce petit monde rassurant de l’entre-soi du Quercy. Rien ne serait plus simple que d’organiser son retour: liquider la boutique ou la confier à Bourdaix, s’installer chez son père et lui proposer de l’aider à gérer les propriétés qu’il possédait autour de Martel, et fréquenter assidûment Adélaïde. Mais il savait que cela impliquait bien des renoncements. Etre seul, c’était être libre. Supporterait-il les contraintes d’une vie provinciale réglée? » (Page 102).
  • Jules Lerouet: inspecteur à la Sûreté de Paris; grand, mince, fine moustache blonde taillée avec soin, yeux gris perçants au regard intelligent; caractère froid, tatillon et impatient; âgé de trente ans, originaire de Sologne; très bon flic.

    clemenceau
    Clémenceau
  • Georges Clémenceau: journaliste et homme politique de premier plan dans la France de la Belle-Epoque; ministre de l’Intérieur et chef du gouvernement au moment des faits relatés.
  • Léon Bourdaix: voisin et ami de Salvignac; peintre talentueux, renvoyé de l’école des Beaux-Arts de Paris pour indiscipline; bel homme, vit en se louant comme modèle; à l’occasion garde la boutique de Salvignac.
  • Adélaïde: amie d’enfance et de cœur de Salvignac; veuv; femme douée d’une élégance naturelle; chevelure parsemée de fils argentés, yeux noisette entourés de fines rides, silhouette mince et souple.
  • Aristide Salvignac: père d’Hippolyte; notaire de Martel, libre-penseur, anticlérical; farouche défenseur de la République, ancien conseiller général.

Les lieux:

Les différents lieux du roman, décrits avec un sens du détail notable, s’intègrent parfaitement à l’intrigue de telle sorte que, d’une manière ou d’une autre, ils participent à sa progression, ou permettent au moins au lecteur de se faire une juste idée des personnages principaux. Pour nous lecteurs, il est toujours intéressant de visualiser les lieux où évoluent les personnages principaux des histoires que nous lisons. Ce n’est pas une règle d’or, mais disons que c’est un plus appréciable, surtout lorsqu’ils sont décrits avec une minutie discrète.

magasin d'antiquitésAinsi, la boutique d’antiquités de Salvignac, « située dans le passage du Grand-Cerf, dans le quartier Bonne-Nouvelle », portant l’enseigne des Arts sacrés du monde entier, démontre l’esprit ouvert de son propriétaire: des dizaines de masques africains côtoient statues, tableaux, reliquaires et autres objets religieux, « tout un attirail de statues de plâtre aux couleurs criardes… ».

Quant à l’immeuble où Salvignac vit, il date de la fin du XVIIe siècle et « de son ancienne splendeur ne subsistaient que la magnifique porte cochère, les façades de style classique, noircies par le temps, et la cage d’escalier monumentale occupant la travée centrale du corps de logis principal. »… »Il avait fait de l’ancienne immense chambre à coucher, désormais séparée en deux par une cloison, son salon et sa chambre. Il avait transformé l’ancienne garde-robe en un cabinet de toilette… » (Page 27)

Les différents lieux de crime: l’église de Floirac décrite comme « une construction massive, sans charme, qui avait dû remplacer un bâtiment plus ancien. Elle était flanquée d’une haute tour carrée, vestige d’une fortification médiévale…La niche dans le chœur, à gauche du maître-autel, était désormais vide. Les épais barreaux en fer de sa grille ne protégeaient plus rien. C’est là où, jadis, le buste reliquaire était conservé. » (Page 46).

L’église de Saint-Michel-en-Bannières, dans le clocher de laquelle le cadavre du curé fut

église floirac
Eglise de Floirac

retrouvé, auquel on accédait « par une échelle en bois appuyée contre le mur d’une des chapelles latérales. Une porte ouvrait sur le plancher installé au-dessus de la voûte en coupole (…)Le sol était recouvert de plumes et de fientes séchées. L’air y était saturé de poussière. » (Page 84).

En conclusion:

Le travail minutieux de reconstitution historique se fait jour non seulement dans la restitution du climat social politique et religieux de l’époque, mais également dans les détails qui agrémentent le récit et lui donnent toute sa richesse d’évocation: le télégramme comme le moyen le plus rapide de communication; l’éclairage au gaz à la pointe du modernisme; les déplacements en fiacre; les pèlerines des gendarmes; la cuisinière à bois…

fiacreLe +: Avec Hippolyte Salvignac, nous pénétrons dans les coulisses du monde feutré des antiquaires. Un monde qui possède ses propres règles. Un monde aux arcanes secrets, interlope à ses heures, où toute une faune plus ou moins honnête prospérait: « Dans sa profession, il n’était jamais bon signe d’avoir affaire à la police. C’est pour cela qu’il s’était toujours montré prudent dans ses achats, refusant d’acquérir de belles pièces que lui proposaient à prix bradé des inconnus. Le recel était un délit… » (Page 11)… »Si l’on voulait faire de belles affaires, autant ne pas être trop regardant sur l’origine des objets et encore moins sur leur authenticité…Certains de ses collègues n’hésitaient-ils pas à lourdement restaurer les objets abîmés, voire à remplacer certaines parties ou ajouter des éléments manquants. » (Page 18).

Le Tigre et les Pilleurs de Dieu propose un agréable condensé de connaissances historiques et d’éléments fictionnels se rencontrant dans une intrigue passionnante, très bien écrite. On pénètre sur la pointe des pieds dans un univers suranné, révoqué, disparu à jamais, rétablit sous nos yeux pour quelques instants avec beaucoup de réalisme,  suscitant en nous l’envie de retrouver Hippolyte Salvignac dans de futures aventures que nous souhaitons très nombreuses…

Citations:

« Parce que vous pensez que l’art doit reproduire la réalité? Mais non, il exprime une conception de l’univers, c’est différent. » (Page 10).

« On peut appartenir à la bourgeoisie et ne pas être indifférent au sort des plus pauvres… » (Page 25).

« Il ne resterait pas inactif, que diable! Il se surprit à s’être ainsi pris au jeu…il avait envie de savoir ce qui se cachait derrière tout cela. Il avait commencé à tirer les fils de la pelote et il avait envie de continuer. » (Page 75).

« Il lui semblait que son esprit travaillait sans qu’il en ait conscience, que des idées cheminaient, qu’elles prenaient la forme de sensations fugitives. Parfois, immédiatement, elles se manifestaient clairement, elles se matérialisaient en quelque sorte par des mots, des phrases. » (Pages 183-184).

« Cette presse à grand tirage aime bien flatter les bas instincts de ses lecteurs, commenta Hippolyte. Elle a besoin de son bol de sang quotidien…Pendant que je lis cette mystérieuse histoire de meurtres, je ne m’intéresse pas à ce que fait le gouvernement, je ne pose pas de questions sur la grande misère qui côtoient des fortunes comme on en a jamais vu jusque-là. » (Page 247).

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